« CARTE NOIRE NOMMÉE DÉSIR », Un nouveau langage pour revendiquer son identité

À l’heure où visiblement, le temps de la haine et de la violence n’est pas passé, le texte de Rébecca Chaillon, dans sa poésie comme dans sa rudesse, offre à ses personnages un merveilleux pouvoir de revendication et d’émancipation face à la culture dominante.

Carte noire nommée désir pose plusieurs questions : Comment se construisent nos désirs sous les injonctions ? Comment se réapproprier nos corps, reconstruire nos héritages détruits ? Dans ce texte flamboyant où la poésie rencontre l’insomnie, Rébecca Chaillon régurgite la culture dominante, recrache le racisme, scalpe le patriarcat, conjure les sexualités hétéronormées. Une explosion vorace et sensuelle, où jaillit le sang sous la lame de la bouchère, pour libérer les corps et les imaginaires.

Au premier abord, le langage qu’utilise l’autrice ne paraît pas facile d’accès. Il est plein d’images, de sous-entendus, de liens cachés. Mais c’est justement à travers ce lyrisme que le texte nous emporte dans son univers. L’écriture utilisée est en fait performative, elle fait appel à nos sens : charnels, olfactifs, gustatifs, visuels, … Malgré son apparence très onirique, le texte est en fait profondément ancré dans une réalité concrète.

Cette réalité se donne à entendre avec des mots crus, violents, presque crachés, donnant au discours différentes formes d’insistance qui révèlent l’urgence de dire la violence du réel à laquelle sont confrontées les femmes noires. L’autrice n’a pas peur des mots qu’elle emploie, elle les assume, elle s’en sert pour créer une distance permettant de mieux mettre à nu la dualité qui est au cœur du texte : mémoire/ présent, homme/femme, je/les autres… Car même si elle est dissimulée, il y a bien une trame qui se tisse entre les différents textes, celle d’une mémoire coloniale revendiquée et dénoncée.

« Voilà, nous nous sommes bien pris la tête pour vous montrer que nous n’étions pas ce que vous croyiez que nous étions »

À travers son texte, Rébecca Chaillon se met en quête d’un renouveau, d’un nouveau chemin, d’un nouveau chez soi. Elle met en avant une sororité puissante, elle revendique le féminin au présent, dans toute son individualité, son imperfection, ses blessures et ses forces. Et cela offre enfin la possibilité d’une identité autre que celle définit par l’exotisation et l’hypersexualisation de la femme noire, une identité plus complexe que celle qu’on lui impose. Le texte est porté par des mots et vérités qui dérangent, à travers des images déconcertantes : c’est la manière qu’a choisie la dramaturge pour dire haut et fort la violence, le désir, la sensualité, les amours féminines libérées et libératrices. Pour se retrouver enfin soi, « Une », après s’être réapproprié toutes les références et les mémoires déformées par le patriarcat. Le texte a été joué au festival d’Avignon édition 2023, dans une mise en scène de Rébecca Chaillon.

Informations pratiques

Auteur(s)
Rébecca Chaillon

Prix
15,50 euros

L’Arche Éditeur
www.arche-editeur.com