« CATARINA ET LA BEAUTÉ DE TUER DES FASCISTES » de Tiago Rodrigues, ironique pamphlet oratoire contre les abus du fascisme et les dérives de l’intolérance

Catarina et la beauté de tuer des fascistes écrit et mis en scène par Tiago Rodrigues se passe en 2028, dans le Sud du Portugal. Une rangée familiale se prépare un repas et s’organise autour d’une action commune. La gaieté opère au sein des membres qui semblent défendre des principes de conscience politique. L’une des filles est vegan, contre l’élevage intensif, l’un est silence pour préserver l’harmonie. Le père de famille commente le vol des hirondelles. La mère défend les adages hérités du même sang filial : cette famille se réunit une fois l’an, choisissant de « faire le mal pour pratiquer le bien ». Car la mère incarne par ses valeurs, la tragédie héritée des arrières-parents.

Un féminicide a eu lieu, elle s’appelait Catarina Efigénia sous l’ère fasciste en 1954. Elle deviendra un symbole de résistance du régime salazariste. Et celle qui incarnait alors la mama dans la lignée familiale de la pièce, a tué son mari soldat, l’accusant de passivité complice face à ce meurtre perpétré sur une femme devant ses yeux. Depuis plus de soixante-dix ans chaque année, la famille choisit un bouc émissaire incarnant le fascisme primaire du moment, pour le prendre en otage, le tuer et l’enterrer dans le jardin. La plus jeune doit tuer son premier fasciste car elle atteint ses 26 ans. D’abord encline par loyauté, elle se rend compte qu’elle doute, et finalement ne veut pas tuer. La mère la menace de la renier si elle ne tue pas l’homme pris en otage. Ce qui est poignant, c’est l’habileté du discours à dénoncer à la fois le pouvoir des mots par la manipulation. Et à soutenir en même temps le poids de la rhétorique des mots pour favoriser le dialogue. La limite est ténue. L’écriture est haletante, et le raisonnement est intéressant, pour pointer du doigt une société qui violerait les règles de la démocratie pour mieux la défendre. S’en suit un dilemme qui va mener au drame tragique. Il y a dans la suite du récit, un vrai discours radical, voire indignant.

Tiago Rodrigues est reconnu pour son implication dans la vie artistique de son pays. La vision politique et méta-poétique de son théâtre ont fait de lui un metteur en scène présent sur les plus grandes scènes européennes. Il signe là une œuvre au cœur de l’actualité, en résonance avec la notion de démocratie, qui crée des dissensions dans la narration. Le propos questionne, interpelle, dérange, et fait se bousculer des valeurs nobles avec une forme de légitimité à interroger sur l’attitude juste à adopter. La violence a-t-elle sa place dans la lutte pour un monde meilleur. C’est un parti pris fictif avec une trame intelligente. Une histoire forte qui marque une nouvelle écriture contemporaine ; celle de confronter la réalité potentielle avec un futur proche qui craindrait de faire feu de tout bois. Cette pièce créée en septembre 2020 dans une mise en scène de l’auteur démontre que le théâtre peut revivre à l’image d’un Brecht, auquel il est rendu ici hommage. La force de l’engagement théâtral dans ce contexte, intrigue d’autant plus sur l’éditorial que choisira Tiago Rodrigues pour la programmation du festival d’Avignon, dont il a pris la direction en août dernier.

Informations pratiques

Auteur(s)
Tiago Rodrigues

Prix
15 euros

Éditions Les Solitaires Intempestifs
www.solitairesintempestifs.com