Une cour de ferme, à l’orée de la forêt, dans un décor brumeux entre les champs et les arbres. C’est ici que vivent Delphine et Marinette, deux petites filles joyeuses qui aiment à converser avec les animaux qui les entourent. Un jour, un cerf, fuyant la meute de chiens de chasse qui le poursuit, arrive chez elle. Avec l’aide de Pataud, l’un des chiens, évadé de la meute, les deux petites viennent au secours de l’animal, qui tente alors de s’adapter à la vie et au travail de la ferme. Mais peut-on si facilement renoncer à son état sauvage ?
En portant à la scène ce conte de Marcel Aymé, Véronique Vella fait preuve d’une immense fidélité à l’oeuvre originale : les parties narratives, au lieu d’être occultées, sont réparties entre les différents personnages, ce qui permet de créer un effet de distanciation décalé et amusant qui, par les ruptures qu’il génère, participe au maintien d’un rythme dynamique. La scénographie (signée Julie Camus), très figurative, peut-être un peu imposante pour la taille du plateau du Studio-Théâtre, a quelque chose d’un tableau de Millet dans la composition et les gammes de couleurs. Ajoutons à cela les chansonnettes aux allures de comptine (par Vincent Leterme et Lucette-Marie Sagnières) de Delphine et Marinette, et l’écrin du théâtre nous transporte véritablement dans une ferme idéalisée du début du XXe siècle.
Les comédiens du Français semblent prendre un tendre plaisir à jouer des rôles dans lesquels on ne les attend pas. Elsa Lepoivre (que l’on a plutôt l’habitude de voir en Phèdre ou en Lucrèce Borgia) se révèle parfaitement convaincante dans le rôle juvénile de Marinette ;elle irradie d’une fraîcheur espiègle pour le moins surprenante. Véronique Vella n’est pas en reste dans sa salopette de Delphine, peut-être plus enfantine encore. A leurs côtés, Sylvia Bergé et Alain Lenglet sont des parents (trop?) discrets, tandis que Michel Favory joue le vieux chat narrateur, celui-la même qui, fin observateur, a livré ses histoires à Marcel Aymé… Mais c’est surtout le trio des grosses bêtes qui force l’admiration : Julien Frison, simplement vêtu de noir (on ne peut s’empêcher de penser à Neo dans Matrix), sait faire voir le chien de chasse à la fois dangereux et amical ; Stéphane Varupenne, lui, est un bon gros bœuf, doux, sympathique et serviable. Enfin, Elliot Jenicot, sans bois, avec seulement sa queue-de-pie, ses guêtres, et la fluidité de ses mouvements, fait véritablement voir un cerf sur scène. Il en a la grâce, l’agilité, la majesté tant dans la posture que dans la démarche, et jusqu’aux sautillements… Sa performance est, en tout point, absolument fascinante.
© Simon Gosselin
De ce conte, Véronique Vella sait exploiter les multiples dimensions pour en faire ressortir l’intelligence et l’humanité. Réflexions sur la liberté, la tolérance, la nature intrinsèque et les choix de vie, ou encore l’amitié sont mises en exergue dans cette représentation à la fois simple et précise, exigeante et tendre, qui illustre sans juger. Les dizaines d’enfants présents ne soufflent pas un mot, restent immobiles, absorbés par tout ce qui se déroule devant eux. Les adultes n’ont pas moins d’étoiles dans les yeux : leur enfance, aussi, a ressurgi.
Ainsi, la volonté qu’avait Marcel Aymé de dédier ses contes « aux enfants de 4 à 75 ans » est très exactement respectée. Un spectacle « jeune public », donc, certes, mais au sens le plus noble qui soit : celui qui nous rappelle qu’on n’est jamais trop vieux pour aimer ces histoires-là.
Informations pratiques
Auteur(s)
Marcel Aymé
Mise en scène
Véronique Vella
Avec
Véronique Vella, Elsa Lepoivre, Sylvia Bergé, Alain Lenglet, Michel Favory, Julien Frison en alternance avec Jérôme Pouly, Stéphane Varupenne et Elliot Jenicot
Dates
Du 16 novembre 2017 au 7 janvier 2018
Durée
1h
Adresse
Studio-Théâtre de la Comédie-Française
Carrousel du Louvre
99 avenue de Rivoli
75001 Paris
Informations et dates de tournée
http://www.comedie-francaise.fr