"C’EST BIZARRE L’ÉCRITURE", un spectacle au cœur de l’œuvre de Christiane Rochefort produit par la compagnie Petite Lumière

C’est bizarre l’écriture, mise en scène Orit Mizrahi © Thomas Faverjon

Christiane Rochefort (1917-1998), autrice féministe et écologiste de la première heure, s’est intéressée au processus d’écriture dans son essai C’est bizarre l’écriture, datant de 1970. La pièce éponyme, jouée par Orit Mizrahi et Awena Burgess qui ont connu Christiane Rochefort à travers l’amitié qu’elle nouait avec leur mère respective, rend hommage à cette femme libre et engagée tout en explorant le monde intime de l’invention littéraire.

Joyeux et énergique, le jeu des deux comédiennes transporte le spectateur dans l’univers créatif de Christiane Rochefort. On ressent une forte connexion entre Awena Burgess et Orit Mizrahi, grâce à leur complicité, leur coordination naturelle et l’alternance rythmée des répliques. C’est également avec humour que les deux comédiennes impliquent le public autour de jeux de mots, prouvant ainsi que l’écriture peut être un domaine où l’on crée, expérimente et s’amuse avec la langue. La mise en scène très ludique va dans ce sens, entre projections lumineuses des œuvres de l’autrice et écriture à la craie sur un long support en papier. Awena Burgess étant chanteuse, la musique a une place toute particulière au sein du spectacle, que ce soit le rythme des touches de la machine à écrire ou bien plus simplement des reprises, interprétées par la comédienne, de célèbres chansons des années 60 comme For No One des Beatles ou encore Subterranean Homesick Blues de Bob Dylan.

« L’écriture est un exercice physique » disait Christiane Rochefort. Elle présentait en effet le processus d’écriture comme une véritable course aux mots qu’elle a analysé dans son œuvre Printemps au parking. Orit Mizrahi et Awena Burgess ont choisi d’élargir cette réflexion à ses autres romans, comme Les Stances à Sophie, Archaos ou Le Jardin étincelant, Les Petits Enfants du siècle, La Porte du fond, et bien d’autres… L’écriture franche de l’autrice n’en reste pas moins élaborée, et l’on ressent sa poésie et sa créativité dans les répliques, qui sont pour la grande majorité tirées de l’essai C’est bizarre l’écriture. La voix de Christiane Rochefort se fait entendre par la lecture et la mise en scène de ses réflexions, mais également dans une interview diffusée sur scène. Le processus d’écriture est questionné par l’autrice qui s’interroge sur le rapport qu’elle entretient au papier, à ses personnages et à l’intrigue. En un mot, l’écriture pour Christiane Rochefort est à la fois un terrain de jeu, un espace de réflexion intime et un moyen d’affirmer sa voix.

C’est donc tout naturellement que se pose la question des femmes qui écrivent, à une époque où le mot « écrivain » n’avait pas officiellement d’équivalent féminin. Même si le jeu de mot récurrent dans le spectacle « un écrivain, une écrevisse » semble aborder la question sous un angle humoristique, il soulève un problème d’invisibilisation des femmes que l’on peut aujourd’hui appeler « écrivaines » et « autrices » dans la littérature française. C’est bizarre l’écriture met ainsi en lumière la difficulté des jeunes filles de l’époque de Christiane Rochefort à sortir de la place assignée aux femmes dans la société pour se projeter dans le monde de l’écriture. Christiane Rochefort, engagée dans le MLF au cours des années 70, fait partie de toutes ces femmes émancipées à l’âme d’exploratrice qui bousculent les codes de leur temps. Le spectacle C’est bizarre l’écriture nous fait (re)découvrir le portrait et les réflexions de cette « écrevisse » française, à travers le regard d’enfant de ses proches, tout en amour et poésie.