Chair et Os de Jérôme Thomas © Christophe Raynaud de Lage
Sous le chapiteau du Cirque Lili, au coeur du Parc du Centre Hospitalier de la Chartreuse à Dijon, des animaux étranges à plumes ou à poils défilent sur la scène. Des êtres hybrides mi-homme, mi-animal à la démarche insolite sont exhibés et déjà la farce se profile burlesque, ironique et noire. La compagnie Jérôme Thomas nous convie à un « spectacle de cirque d’animaux, sans animaux » qui interroge le rapport entre l’Homme et l’animal, une frontière infime où la cruauté humaine laisse apparaître l’animalité, les nouveaux sauvages de notre société moderne. Qu’en est-il de l’équilibre naturel ? L’Homme armé de sa faim ne sera-t-il jamais rassasié ? Sa force destructrice l’éloigne de plus en plus de la nature. Les animaux se révoltent, font entendre leurs voix face à leurs conditions, aux souffrances atroces qu’ils subissent, devenus aujourd’hui une matière première exploitée à outrance par les hommes. Les corps en mouvement, les acrobaties et les contorsions des interprètes offrent des tableaux poétiques et sensuels à la belle esthétique. Le texte distillé est riche et puissant. Cette nouvelle création Chair et Os de Jérôme Thomas est un véritable manifeste sur un sujet urgent et capital. Une fable contemporaine qui à la manière de Jean de la Fontaine se sert des animaux pour instruire les hommes.
Tout au long de cette proposition, humains et animaux vont se faire face. Dans l’espace circulaire boisé, lieu de vie, l’homme évolue devant des bêtes silencieuses, observatrices dans un premier temps. Puis à mesure des mots/maux, elles réagissent avec force et détermination. Au départ, les six protagonistes s’avancent debout en chemise blanche avec le corps recouvert partiellement de poils ou de plumes, sous une musique électronique pulsée. Symbole d’une société moderne où l’animalité prend peu à peu le pas. Leur manière de se déplacer intrigue et les différentes chorégraphies offrent une belle palette du règne animal avec des mouvements plus au sol, un groupe harmonieux avec ses singularités, des postures inventives, drôles, des équilibres incertains. Des animaux aux multiples facettes masqués ou recouverts de manteaux de fourrure, bêtes de foire ou animaux de compagnies. Ces espèces d’un nouveau genre sont capables de faire surgir le rire comme l’extraordinaire, elles nous charment et touchent par leur sensibilité devant le texte d’Aline Reviriaud susurré, scandé par la voix de Michel Legouis depuis les gradins au milieu du public. À mesure les propos se font plus graves et violents dans la bouche du comédien qui évolue sur tout l’espace scénique. Imprégnés de ce déferlement provoqué par l’humain carnassier et destructeur (des milliards de bêtes tuées chaque année dans les abattoirs), les animaux se rebiffent et viennent au micro. Des voix en plusieurs langues qui entrent en résonance dans une oralité plurielle de l’urgence de dire de stopper le massacre.
La proposition engagée de Jérôme Thomas nourrit notre imaginaire à travers les représentations oniriques qu’il crée dans ses tableaux contrastant avec la gravité du sujet sur la condition animale inspirée entre autre par des écrits tels Les Fables de La Fontaine, Les nouveaux sauvages de Damián Szifron, La Ferme des animaux de Georges Orwell, L214 une voix pour les animaux de Jean Baptiste del Amo, Lucy : La femme verticale d’Andrée Chedid. Sur scène, quelques agrès dont un mât chinois et des cordes qui plantent le décor et servent à l’envi ce bestiaire circassien. Nicolas Moreno soutient Magdalena Hidalgo Witker dans une marche rythmée avec des portés acrobatiques où l’on peut voir Adam et Eve dans le jardin d’Eden devant un auditoire d’animaux. Plus loin dans une ronde, les étapes de l’évolution humaine à travers le temps avec l’homo sapiens qui se redresse progressivement. Sans cesse mis en regard humain bipède ou animal à quatre pattes, ils sont tous deux constitués de chair et os, sur un même pied d’égalité. Rien ne justifie la destruction opérée par l’Homme au fil des siècles. La contorsionniste Lise Pauton retient notre attention avec un texte puissant et son interprétation.
Mystères du monde, de la naissance à la mort, rapport à la nature, à notre humanité, la dramaturgie est forte dans Chair et Os et les questionnements multiples sur la relation entre l’Homme et l’animal. Alors qu’un texte historique pour faire progresser la condition animale en France voit le jour : fin progressive de la faune sauvage dans les cirques itinérants et delphinariums. Beaucoup de progrès restent à faire… Avec sa poésie, Jérôme Thomas nous plonge dans un univers étonnant où les animaux interrogent notre humanité, porté par des acrobates-danseurs talentueux. Un voyage captivant et nécessaire.
Chair et Os de Jérôme Thomas © Christophe Raynaud de Lage
Informations pratiques
CHAIR ET OS Création 2022
Direction artistique, chorégraphie
Jérôme Thomas
Dramaturgie et textes
Aline Reviriaud
Artistes
Magdalena Hidalgo Witker, Michel Legouis, Nicolas Moreno, Tamila De Naeyer,
Juana Ortega Kippes, Nicolas Parraguez Castro, Lise Pauton
Collaboratrice artistique, assistante chorégraphique et interprète Lise Pauton
Lumières Dominique Mercier-Balaz en collaboration avec Bernard Revel
Scénographie / Costumes / Accessoires Emmanuelle Grobet
Musique Jérôme Thomas
Comédien / Bruiteur Michel Legouis
Régie son Arousia Ducelier
Régie générale et régie lumières Dominique Mercier-Balaz
Production ARMO / Cie Jérôme Thomas
Dates
5, 6, 7 mai 2022 – Cirque Lili / Centre Hospitalier de La Chartreuse à Dijon
12 mai 2022 – Théâtre de Dole Scènes du Jura / Scène nationale
19 et 20 mai 2022 – L’Espace des Arts / Scène Nationale de Chalon-sur-Saône
1er juillet 2022 – La Maison / Scène conventionnée Art en Territoire à Nevers
4 et 5 juillet 2022 – Festival Sul filo del circo / Cirko Vertigo à Grugliasco – Turin, Italie
Durée
1h05
Adresse
Cirque LILI Lieu d’art et essai
Centre Hospitalier de La Chartreuse
21000 Dijon
Informations complémentaires
Cie Jérôme Thomas
www.jerome-thomas.fr