« CHANGE ME »  Crise transidentitaire ou comment survivre dans un microcosme transophobe 

« Qu’on ne voie que ce que l’on croit que je suis », des mots qui retentissent à travers les siècles et les genres dans la voix enfantine de Camille Bernon, comédienne et metteure en scène avec Simon Bourgade de la pièce Change Me. Chroniques d’un jeune garçon issu d’un milieu populaire et reculé, né avec un sexe socionormé comme féminin, il choisit de se travestir et de masquer son identité « biologique » à son entourage. Seulement, la vérité ne peut être retardée indéfiniment et finit par éclore lors de la première fois avec sa copine, entraînant avec elle un engrenage de réactions et comportements totalement démesurés. S’inspirant à la fois du fait divers de Brandon Teena du début des années 90 et puisant dans les sources ovidiennes et classiques, la pièce soulève la question épineuse de l’acceptation de la minorité transgenre et s’insurge contre le dogmatisme binaire qui gangrène nos sociétés et le discours médiatique.

Fumigène, carrelage de salle de bain ébranlé, rap américain et beatbox : tout dans la scénographie, la musique et les gestes scandés des comédien.ne.s transpire de violence. Une violence presque insoutenable dans la scène de viol d’un réalisme glaçant où la performance de Camille Bernon est juste désarmante. Si le comédien Mathieu Metral aborde le récit de l’agression sur le ton décontracté d’un humoriste de stand-up, la virulence des mots n’en devient pas plus digeste pour autant. À côté de documents audio et d’images d’archives, les alexandrins d’Isaac Benserade – rendus tout à fait accessibles par la diction des comédiennes – se boivent avec avidité et viennent étancher, le temps de quelques vers, notre soif de tendresse dans cette brutalité claustrophobique : les adolescentes s’éclipsent et ce sont une Iphis et une Iante contemporaines qui se morfondent sur l’impossibilité de leur amour homosexuelle. La dimension mythique finit même par prendre le dessus sur la réalité et la comédienne se métamorphose en monstre derrière son masque noir, contrainte par les sempiternels « cachez ce.tte transgenre que je ne saurais voir ».

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© Fabrice Doumenet

La mise en scène donne parfois lieu à des scènes simultanées dans différents espaces de la scénographie à travers un découpage qui se veut quasiment cinématographique. S’y ajoutent des scènes de flash-back projetées en direct où les comédien.ne.s répondent à l’interrogatoire de la voix-off. La lumière accompagne par ailleurs le récit avec une précision métronomique et anime de façon spectrale les objets, des phares de la voiture à l’écran de télévision. L’éclairage sculptural pétrifie presque le corps nu de la comédienne principale, dans une scène évoquant largement une crucifixion, où elle est entourée des deux (mauvais) larrons et de sa copine, à ses genoux, dans une désolation contagieuse. La sensation de malaise est renforcée par un cafouillage sonore qui vient parasiter les répliques et troubler notre perception auditive.

Le spectateur s’apitoie aisément sur ce personnage-martyr, victime des élucubrations misogynes et d’une transophobie ambiante. Comment demeurer insensibles après une telle effervescence psychologique et émotionnelle ?

 

Informations pratiques

Auteur(s)
D’après Les Métamorphoses d’Ovide, Iphis et Iante d’Isaac de Benserade et le film The Brandon Teena story de Susan Miska & Greta Olafsdottir

Mise en scène
Camille Bernon et Simon Bourgade

Avec
Camille Bernon, Pauline Bolcatto, Pauline Briand, Baptiste Chabauty, Mathieu Metral

Dates
Du 26 au 27 septembre 2017

Durée
1h45

Adresse
Théâtre Paris-Villette
211 avenue Jean-Jaurès
75019 Paris

http://www.theatre-paris-villette.fr