« CLÔTURE DE L’AMOUR » de Pascal Rambert, Je te quitte

Le texte de Pascal Rambert Clôture de l’amour a pris naissance au Festival d’Avignon en 2011. L’auteur écrit pour Stanislas Nordey et sa manière articulée de dire la langue française et de faire du langage une respiration entière du corps/support qui porte la diction en son entier. Il écrit pour Audrey Bonnet qui reste une bonne demi-heure à écouter, pour cette écoute dans son corps courbe et fin qui s’est tu puis parle. En emplissant l’espace de son silence, le corps qui attend respire de manière active dans l’immobilité totale. En 2012, il a reçu le prix de la meilleure création d’une pièce en langue française du syndicat de la critique ainsi que le prix de littérature dramatique. Traduite en vingt langues dans le monde entier, la pièce de Pascal Rambert constitue un incontournable du théâtre français de ce début de XXIème siècle.

Un couple se sépare, du moins l’un annonce à l’autre qu’il veut que ça s’arrête.
La structure repose sur 2 longues tirades, chacune d’une heure à la scène. Le corps à corps des mots créé un combat proche d’un duel à mort dans une chambre de torture où espace et temps sont suspendus. Stan porte un coup d’arrêt brutal, cruel, mortel à la relation, avec un final emprunté à un célèbre vers de Bérénice Il faut nous séparer. Ce que les Dieux faisaient, le corps l’a fait en parlant : 3 mots Je te quitte suffisent. Les mots portent des coups dans un langage en pleine convulsion. Le suspense rhétorique de la riposte d’Audrey à l’acte de guerre de Stan si disproportionné retient le lecteur. Au mariage d’amour répond le divorce de désamour avec l’intériorité comme l’extériorité qui s’écroule. C’est l’intérieur qu’on voit bouger sur la peau pas le contraire.

La pièce puise sa force dans le démenti de valeurs. Audrey s’apparente à Antigone dans le défi immuable du théâtre ; quelqu’un parle et l’autre s’avance pour dire Je ne suis pas d’accord. La face sombre de l’ordre amoureux apparaît avec le déni de la perte pour se protéger du chagrin. La guerre commence non avec l’attaque mais au moment où l’agressé décide de riposter : il faut être 2 pour faire la guerre. Ainsi, Audrey se constitue comme adversaire et non comme victime. Elle choisit d’ouvrir un conflit où sa parole a transformé la rupture unilatérale en clôture bilatérale. La séparation a lieu à l’endroit de la réussite passée de l’aventure des amants fougueux et des parents heureux en congruence sociologique et artistique dans un projet commun. Stan veut remettre les compteurs à zéro, paramétrer la relation en vidant la corbeille. Nous sommes des appareils amoureux sophistiqués à programmation courte et nous ne le savons pas. Audrey parle du travail qu’elle a fait sur elle, de l’amour comme d’une secte et du jeu de l’amour comme d’une fiction.

En effet, la tragédie s’élabore sur l’ombre du bonheur dans lequel nous baignons. Nous sommes, ni dans la compréhension, ni dans l’explication puisque nous sommes dans la perte de repères. Où sommes-nous quand nous aimons ? Où sommes-nous quand nous n’aimons plus ? Pascal Rambert nous fait descendre dans la cave, dans l’inconscient. La dissymétrie dans laquelle Audrey a porté Stan, les crises avortées, tues, déniées refont surface. Le voile du paradis se déchire sous nos yeux dans un dialogue spasmodique. Nous ne sommes pas en présence d’un lent désamour mais dans les spasmes d’un amour blessé à mort. Dans l’effondrement de leur amour absolu, les protagonistes sont tels Adam et Ève chassés du paradis. En mettant à mal la construction du mythe, avec la part comique du narcissisme, la tragédie agit dans ses effets cathartiques sans aspect sordide, notamment de l’argent. Le slalom s’effectue entre la trivialité et la littérature. À ce sujet, la forme comporte une ponctuation particulière où seul le point d’interrogation a droit au chapitre. Le jeu sur la brièveté ou la longueur ainsi que les effets de répétition sont des caractéristiques de l’auteur auxquels on se familiarise avec bonheur, tant l’effet est heureux.

Informations pratiques

Auteur(s)
Pascal Rambert

Prix
9,50 euros

Éditions Les Solitaires Intempestifs
www.solitairesintempestifs.com