Article d’Ondine Bérenger
Out of the blue
Publié par Caryl Churchill en 1997, auteure méconnue en France mais emblématique en Angleterre, Coeur Bleu est un diptyque théâtral inclassable, à mi-chemin entre le théâtre de l’absurde et le postmodernisme, écrit avec des contraintes similaires aux œuvres de l’OuLiPo.
Dans Désir de mon cœur, une famille attend le retour de Suzy, jeune fille partie vivre en Australie. Emprisonnés dans une scène d’attente qui se répète indéfiniment, les personnages déraillent, partent, reviennent, révélant l’infinité des futurs possibles pour chaque variation, même infime, d’une situation donnée. Tantôt comique ou désastreuse, toujours décalée, l’issue de chaque itération surprend et interpelle le spectateur. Au début, l’on redoute que cette structure cyclique ne devienne rapidement lassante, mais fort heureusement, il n’en est rien : les comédiens déploient une énergie explosive pour maintenir l’attention du public, et la magie opère. De plus, leur jeu est « impressionnament » millimétré: chaque répétition est organisée avec une précision chirurgicale pour donner la véritable impression de remonter le temps à chaque reprise de la scène. C’est frais, inattendu et dépaysant.
© Olivier Quéro
Dans Cafetière Bleue, un jeune homme nommé Derek se fait passer pour le fils de plusieurs femmes ayant fait adopter leur enfant à la naissance, afin de leur soutirer de l’argent. Cependant, au fur et à mesure que la pièce avance, les dialogues sont parasités, et les mots se retrouvent tous petit à petit remplacés par « cafetière bleue ». Comme dans la pièce de Tardieu Un mot pour un autre, c’est le contexte qui permet alors de comprendre ce qui se dit sur scène. Ici, la distribution est plus hétérogène, et la performance des comédiens légèrement inégale. Toutefois, la précision extrême et la fluidité de la déclamation d’un texte pourtant difficile force le respect. Ainsi, bien que le récit soit habilement mené et que la mise en scène rythmée amène son lot de trouvailles, cette deuxième partie est moins originale et déjantée que la première. Elle reste agréable, mais plus convenue.
© Olivier Quéro
Enfin, ce qui donne à cette représentation un cachet particulier est sans conteste la scénographie. Le décor entièrement fait de bleu et de blanc, propre et net, donne à la scène des airs de tableau surréaliste. L’esthétique est marquante, et attire implacablement le regard du spectateur.
Ainsi, le choix du texte est audacieux, la mise en scène divertissante.
Un agréable moment de dépaysement.
Coeur Bleu
de Caryl Churchill,
traduit par Elisabeth Angel-Perez
mise en scène Rémy Barché,
avec Salim-Eric Abdeljalil, Marina Cappe, Klara Cibulova, Lorry Hardel, Antoine Laudet, Audrey Lopez, Julien Masson, Pauline Parigot, Florent Pochet
dans le cadre du Festival des Ecoles de Théâtre Public
du 15 au 18 juin
Théâtre de la Colline
15 rue Malte Brun
75020 Paris