« Comme vider la mer avec une cuiller » de et avec Yannick Jaulin, au Théâtre des Bouffes du Nord

Article de Marianne Guernet-Mouton

Vaste conte que les textes religieux

Avec pour seul décor un tableau de Fra Angelico, une Annonciation peinte vers 1440, le célèbre conteur Yannick Jaulin fait une entrée remarquée en se lançant à chaud dans le sujet de sa nouvelle pièce, présentée une première fois à La Rochelle en 2015, avec ces mots « Je ne crois pas à une société sans religion (…) la foi c’est comme l’amour, ça ne dépend pas de nous ». C’est avec un humour piquant que le comédien va s’attaquer à un sujet aussi brûlant que la religion qu’il condamne dès lors qu’elle entend déboucher sur une vérité unique.

vider_herve_jolly_3© Hervé Jolly

Dans un rythme frénétique, Yannick Jaulin, seul en scène, interprète avec une habilité déconcertante quantité de rôles et une multitude d’individus quasiment sans transitions. Dans sa mise en pièces des textes religieux et de l’héritage qu’il nous en reste, assisté à la mise en scène par Matthieu Roy et accompagné de la violoniste Julie Mellaert, il endosse avec facilité tantôt le rôle d’un professeur, de Moïse, de l’archange Gabriel, tantôt celui de la reine de Saba. Élevé dans une famille vendéenne très croyante, Yannick Jaulin recourt souvent au patois vendéen qu’il tient admirablement, ce qui contribue au comique de son jeu et qui soulève la question de l’héritage religieux transmis par la famille. En s’appuyant sur quantité d’épisodes bibliques, textes religieux et épisodes de sa vie, le conteur avance avec un humour cru mais qui n’en reste pas moins teinté d’une bonne dose de morale pour en arriver à la conclusion que « les religions c’est comme les contes, il y a plein de versions possibles, plein d’interprétations qui existent ». En montrant à quel point les vérités qu’ont trop souvent voulut faire aboutir comme telles les religions et qui mènent à des damnations et de la violence n’a pas de sens, le storyteller traite son sujet avec une extrême gravité. On regrette toutefois tous les moments qu’il passe tel un professeur à noyer et submerger son public de dates qui n’apportent finalement pas grand-chose au jeu qui suffit par son éloquence. Par ailleurs, les moments musicaux laissés à la violoniste, bien que très beaux, s’insèrent assez difficilement dans la continuité du jeu qui de façon générale aurait gagné à être mieux construit pour ne laisser aucune place à l’égarement.

vider_herve_jolly_2© Hervé Jolly

Qu’à cela ne tienne, la religion ainsi contée et mise en pièces révèle tout un potentiel comique auquel Yannick Jaulin parvient à joindre un discours très sérieux. En effet, que faire désormais, par quoi remplacer la croyance ? Les questions sont réelles et percutent par leur résonance avec l’actualité. Une des réflexions les plus drôles mais non moins sérieusement originales de ce spectacle réside sans doute dans cette ultime question : et si le fils de Dieu avait en fait été une fille ? « Comment vider la mer avec une cuiller » s’impose alors comme un spectacle à la fois comique et lucide qui donne envie d’en voir une suite.

Comment vider la mer avec une cuiller
de et avec Yannick Jaulin
Composition musicale Morgane Houdemont
Violon Julie Mellaert
Mise en scène et dramaturgie Matthieu Roy
Assistante à l’écriture et à la mise en scène Valérie Puech
Création lumières Guillaume Suzenet
Création son Jean-Bertrand André et Fabien Girard
Costumes Noémie Edel

Du 10 au 26 mars 2016

Théâtre des Bouffes du Nord
37 (bis), bd de la Chapelle
75010 Paris
www.bouffesdunord.com