[Coup d’oeil sur le OFF n°9] « Rendez-vous au Train Bleu – Partie 2 »

Peur(s), de Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, mise en scène de Sarah Tick – Cie JimOe : Dans une cuisine américaine, sur fond d’image télé, s’entremêlent des histoires de famille guidées par la grande Histoire nationale, ses nécessités politiques et leurs dérives. D’un côté, Lakhdar Boumediene, incarcéré sans jugement à Guantanamo pour avoir peut-être, un jour, parlé au téléphone avec « le frère du père de l’oncle du cousin germain d’un des lieutenants de Ben Laden ». De l’autre, Stephen Oleskey, avocat, qui fit libérer le prisonnier. Autour d’eux, le monde : les infos, la politique, les conflits internationaux, le patriotisme… la peur, qui s’auto-entretient, s’alimente, à en faire perdre la raison des dirigeants et des foules jusqu’à annuler le droit au nom de la sécurité. Par une dramaturgie enchâssée très fine et limpide, l’oeuvre met en lumière les mécanismes socio-politiques de contrôle de la population et de maintien de l’ordre, qui aboutissent à l’inertie de nos démocraties actuelles. Sans jamais être moralisatrice ou manichéenne, elle offre une démonstration claire et efficace d’un fonctionnement à grande échelle qui nous dépasse. Au rythme des images, la cuisine, point de rencontre et symbole du mode de vie américain, devient tour à tour maison, prison, espace de lutte ou d’humiliation, d’espoir ou d’enfermement. Porté par une distribution homogène, c’est un travail bien ficelé, qui traite un sujet difficile de manière surprenante et originale, et dont le fond est – hélas – d’une nécessité urgente et absolue. Pour se libérer de la dictature de la peur, voici une bonne porte d’entrée pour réfléchir et s’éduquer.

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Peur(s) de Cie JimOe © Eric Michot


Rien ne saurait me manquer, de Agathe Charnet, mise en scène Maya Ernest : Il et elles ont entre 25 et 30 ans, enfants de la « génération Y » né.e.s à l’ère du numérique et du progrès technologique, mais surtout au bord de « l’effondrement » comme on l’appelle parfois, un gouffre obscur entre deux époques, sur le cadavre encore chaud d’idéologies périmées. Pris entre des feux contradictoires, entre injonctions sociales et fantasmes à assouvir, menaces imminentes et rêve d’un futur à conquérir, il y a urgence : il faut vivre. Comment ? Pourquoi ? Pour exorciser les angoisses existentielles et revendiquer le désir d’être au monde, quitte à danser sur des ruines, la compagnie Avant l’Aube nous convie à une fête apocalyptique explosive, un cabaret des désillusions déterminées, acide et drôle, sur fond d’écologie, de coups d’un soir, de pseudo-intellectualisme radiophonique et d’exploration spatiale. Les quatre interprètes déploient une énergie phénoménale à osciller entre destruction irrévérencieuse et idéalisme forcené, n’hésitant pas à briser le quatrième mur pour nous entraîner dans leur tourbillon. Leur spectacle est inclassable : il fait rire, dérange, surprend, interroge, et dresse avec justesse le portrait intime et universel de sa génération. Cependant, sa forme exubérante, volontairement foisonnante et brouillonne, relève davantage d’un genre de conférence-performative que de théâtre, et ne parlera pas à tous les publics. Il y a là quelque chose qui secoue, de manière presque agressive (mais néanmoins bienveillante), et qui peut, parfois, bousculer à l’excès. Le tableau n’en demeure pas moins fin, vivant, et riche à découvrir.

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Rien ne saurait me manquer © Cie Avant L’Aube


Le Massacre du printemps, de et mis en scène par Elsa Granat : À partir de son expérience personnelle, Elsa Granat évoque la fin de vie et le rapport patients-soignants-aidants, à travers les souvenirs de son ressenti de « jeune aidante » adolescente, ayant accompagné sa mère puis son père atteints d’un cancer incurable. Dans une scénographie de jardin artificiel aux couleurs saturées – pelouse trop verte, décors trop roses – se dessine un espace symbolique entre présent et résurgence de la mémoire, un monde onirique d’émotions brutes où peuvent se faire, se dire, se révéler toutes les blessures, toutes les rancoeurs, tout ce qui, en réalité, ne pourrait pas assumer de se montrer à jour. Avec l’humour noir parfois absurde du non-politiquement correct, et toujours énormément d’humanité, le spectacle, par sa dramaturgie éclatée, fragmentée, nous entraîne d’une catastrophe à l’autre, d’une détresse à l’autre, avec, toujours, un puissant souffle de vie. Il faut toutefois, dans un premier temps, garder en tête que le spectacle a été écrit du point de vue d’un membre de la famille d’un patient pour ne pas être heurté par certains propos à l’égard du corps médical. Mais, passée cette première surprise, l’oeuvre nous plonge avec finesse dans les problématiques complexes de l’accès aux soins et de l’accompagnement des patients et des familles, et, en utilisant le théâtre comme exutoire sans limite, fait exploser la réalité pour réclamer un monde où le soin est au coeur de nos préoccupations sociales. Plus qu’un théâtre de mémoire, Elsa Granat et son équipe survoltée nous proposent un théâtre qui parvient à croiser habilement intime et politique, artistique et social… et qui, surtout, illustre un formidable chemin de résilience.

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Le Massacre du printemps © Tout un ciel


Informations pratiques

Festival OFF d’Avignon du 5 au 28 juillet 2019

PEUR(S) – Cie JimOe
Auteur Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre
Mise en scène Sarah Tick
Assistante à la mise en scène Anne-Laure Gofard
Avec Lucas Bonnifait, Julie Brochen, Milena Csergo, Gwenaelle David, Vincent Debost, Frederic Jessua et Raouf Rais
Scénographie Anne Lezervant
Création lumière Mathilde Chamoux
Création sonore Pierre Tanguy
Création vidéo Julien Crépin
Costumes Anne Lezervant et Elysa Masliah
Régie lumière Julien Crépin
Régie son Pierre Tanguy
Durée 1h20

Du 5 au 24 juillet à 18h55 (relâches 11 et 18 juillet)

RIEN NE SAURAIT ME MANQUER – Cie Avant L’Aube
Auteur Agathe Charnet
Mise en scène Maya Ernest
Avec Vincent Calas, Agathe Charnet et Lillah Vial
Dramaturgie Agathe Charnet
Création sonore Augustin Charnet
Création vidéo Benjamin Kühn et Valentin Rivière
Durée 1h15

Du 5 au 24 juillet à 19h20 (relâches 11 et 18 juillet)

LE MASSACRE DU PRINTEMPS – Tout un ciel
Écriture et mise en scène Elsa Granat
Avec Laurent Huon, Elsa Granat, Edith Proust,
Clara Guipont, Hélène Rencurel et Antony Cochin
Dramaturgie Laure Grisinger
Scénographie Suzanne Barbaud
Création lumière Vera Martins
Création sonore Enzo Bodo et Antony Cochin
Costumes Marion Moinet
Régie lumière Vera Martins
Régie son Julien Crépin
Durée 1h20

Du 5 au 24 juillet à 11h50 les jours pairs (relâches 11 et 18 juillet)

Adresse
Théâtre du Train Bleu Avignon
40, rue Paul Saïn
84000 Avignon

Informations complémentaires
Théâtre du Train Bleu Avignon
www.theatredutrainbleu.fr

Festival OFF d’Avignon
www.avignon

Peur(s) – Cie JimOe
www.facebook.com/JimOe

Rien ne saurait me manquer – Cie Avant L’Aube
www.compagnieavantlaube.com

Le Massacre du printemps – Tout un Ciel
www.toutunciel.fr/massacre-du-printemps