[Coup d’oeil sur le OFF : Théâtre engagé et masqué] « BRÉSIL 2016, L’HEURE DE L’EFFROI » et « BETÙN – UNE VIE DANS LA RUE »

Brésil 2016, l’heure de l’effroi, mise en scène Ana Cristina Evangelista © Layza Vasconcelos

Le Festival d’Avignon est l’une des plus importantes manifestations internationales du spectacle vivant contemporain. Dans la programmation du OFF, de nombreuses compagnies étrangères sont représentées. Le Brésil est présent cette année dans la programmation du OFF à l’Atipik Théâtre avec un mini festival à l’intérieur du Festival. Au programme de cette édition 2022, trois pièces de compagnies brésiliennes de l’État de Goiás situé en plein coeur du Brésil. Nous avons choisi de vous parler de l’une d’entre elles Brésil 2016, l’heure de l’effroi ainsi que de la pièce Betùn-Une vie dans la rue qui elle traite de la cruelle réalité des enfants qui vivent dans les rues de Bolivie. Ces deux spectacles nous entraînent dans un Théâtre engagé et masqué. La puissance du masque est utilisée pour dénoncer la violence d’un système.

BRÉSIL 2016, L’HEURE DE L’EFFROI Création collective, mise en scène Ana Cristina Evangelista
Groupe Teatro Zabriskie /Cie Daboni Prod – Première Avignon 2022
Spectacle en portugais sous-titré en français

Dans une zone désaffectée d’un quartier populaire, deux hommes masqués semblent y être installés. Un caddie et au sol des journaux, plastiques, des poubelles et quelques déchets composent la scénographie avec en toile de fond un mur marqué d’inscriptions en portugais dans les tons ocre jaune. Des mots qui interpellent et les pancartes au sol annoncent un vent de révolte. Le public a l’écho de ses manifestations où il faut « soit rester, soit courir ». On entend « Bolsonaro dehors ! ». 2016, la montée de l’extrême droite au pouvoir. 20 ans plus tard, la classe dominante s’est enrichie. La voix off en portugais (sous-titré en français) nous décrit les maîtres du pouvoir. Des millionnaires vivant dans des propriétés tout confort climatisées et infranchissables, symbolisées par le mur du fond au pied duquel les deux laissés-pour-compte viennent crier « laissez-nous entrer ».

C’est une dystopie à l’humour acide qui est dépeinte où deux mendiants cherchent à survivre. Les déchets s’accumulent à l’image de cette scène misérable. La canicule est aggravée par le manque d’eau, les ruisseaux sont asséchés et les réserves naturelles sont épuisées. Dans cette mise en scène, les deux personnages sont les témoins/victimes qui nous font ressentir cette saturation et l’urgence de la situation par leurs réactions instantanées. Le jeu masqué donne encore plus de force à leurs mots/maux. Alexandre Augusto et William Machado ont une interprétation juste et sensible de ces deux errants qui sont la voix du peuple qui gronde. Ils dénoncent, s’animent le poing levé, chantent et poursuivent leurs objectifs sans faiblir, ils tentent de franchir le mur. Les voix des politiciens de gauche s’élèvent alarmistes Lula, Marcelo Freixo ou Dilma Rousseff, ancienne présidente du Brésil. Les deux compères pleurent « c’était prévisible ». Le groupe Zabriskie dénonce à travers ce spectacle la fin de la démocratie au Brésil et la violence du système capitaliste. Un moment intense et bouleversant qui ouvre la réflexion.

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Brésil 2016, l’heure de l’effroi, mise en scène Ana Cristina Evangelista © Layza Vasconcelos

BETÙN – UNE VIE DANS LA RUE
Écriture et Mise en scène Vene Vieitez Avec Cecilia Scrittore et Vene Vieitez Cie Teatro Strappato – Création 2022

Comme pour le spectacle précédent, les protagonistes masqués se trouvent dans la rue au milieu de sacs poubelles et de débris. Dans une quasi-obscurité l’atmosphère est dès le début oppressante. Tout se déroule à vue, rien n’est caché comme l’histoire que l’on découvre, une fable contemporaine cruelle et sombre. Betùn naît de rien, sa vie est dans la rue. C’est là qu’il joue, rêve et travaille, son destin est scellé tout comme sa voix puisque le spectacle est sans paroles. Cecilia Scrittore livre une interprétation sensible et très juste du personnage. Face à elle, Vene Vieitez interprète tous les autres rôles, la mère, le compagnon d’infortune, le brigand qui l’agresse,… L’homme est imposant face au gracile Betùn. Dans tous les registres et situation, il est convaincant. Offrant son appui, il est un défenseur rassurant mais sait aussi révéler sa monstruosité, représentant toutes les mauvaises rencontres que l’on peut faire dans l’enfer de la rue. Les masques en cuir du Teatro Strappato (demi-masques) nous montrent des personnages dont les vies se lisent clairement sur les traits de leur visage. Une force expressive puissante pour le théâtre muet et un potentiel tragique énorme. Ce sont des objets poétiques qui permettent au public de sonder l’âme des personnages.

Le spectacle se divise en 4 rêves et 5 réalités de cet enfant condamné à la rue. Même si les personnages restent muets, nous suivons aisément l’histoire écrite par Vene Vieitez et les différents lieux réels ou rêvés se dessinent à mesure. La musique joue un rôle très important dans la dramaturgie. Elle crée aussi l’univers poétique avec la Sonate pour piano et clarinette op. 167 de Camille Saint-Saëns qui donne lieu à de belles métaphores. Par opposition, les réalités seront empreintes des bruits de la rue. Rien n’est caché au public, rien ne se passe dans les coulisses, tout se voit et les personnages comme dans la rue, manquent d’intimité. La lumière est un élément dramaturgique qui raconte, qui dialogue avec l’imaginaire du public. L’obscurité et le silence sont des éléments importants et poétiques d’une histoire faite de ténèbres.

Le Teatro Strappato est une compagnie nomade d’acteurs-artisans, basée en Europe. Elle crée ses oeuvres et ses pièces de théâtre entre Berlin, Murcia et Trévise, et les fait découvrir dans le monde entier. Betùn a reçu le Prix Tournesol au Festival OFF d’Avignon 2019. C’est un spectacle percutant, qui va à l’essentiel avec une grande maîtrise du jeu masqué par les deux comédiens. Avec le masque, l’acteur dialogue directement avec la conscience et le coeur du public.

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Betùn, mise en scène Vene Vieitez © Cesar Desviat & Cesar Cano

Informations pratiques

Festival OFF d’Avignon du 7 au 30 juillet 2022

BRÉSIL 20166, L’HEURE DE L’EFFROI – Groupe Teatro Zabriskie Première à Avignon
Auteur(s) Création Collective
Mise en scène Ana Cristina Evangelista
Avec Alexandre Augusto et William Machado
Lumières Nadia Luciani
Production Groupe Teatro Zabriskie

Durée 50 mn

Du 7 au 30 juillet à 19h05 (relâches 12, 19 et 26 juillet) à l’Atypik Théâtre

BETÙN – UNE VIE DANS LA RUE – Cie Teatro Strappato Création 2022 Première à Avignon
Texte Vene Vieitez
Mise en scène Vene Vieitez
Avec Cecilia Scrittore et Vene Vieitez
Masques Cecilia Scrittore et Vene Vieitez

Durée 70 mn

Du 7 au 30 juillet à 19h25 (relâches 12, 19 et 26 juillet) au Théâtre des Barriques

Informations complémentaires
Atypic Théâtre
www.atypik-theatre.fr

Théâtre des Barriques
www.theatredesbarriques.com

Festival OFF d’Avignon
www.avignon

Cie Teatro Strappato
teatrostrappato.com