« Croisement », écrit et mis en scène par José Drevon, dans le cadre du Festival de Caves à Besançon

Article d’Ondine Bérenger

Fantômes sous-terrains

Rendez-vous mystérieux lancé à dix-neuf spectateurs sur une place de Besançon en fin d’après-midi. Quelques minutes pour vérifier qu’il ne manque personne à l’appel, et nous voilà emmenés jusque dans la cave d’un particulier bisontin pour découvrir une création théâtrale, Croisement. Etonnant concept que ce Festival de Caves, qui fête cette année ses dix ans d’existence.
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Sous terre, l’on est accueilli par la silhouette lointaine d’une femme en tailleur et talons hauts. A peine sommes-nous installés que l’étrange personnage nous rejoint, se présente, éteint la lumière, allume une lampe torche. Sa conférence sur la vitesse des échanges et communications internationales peut commencer. Mais très vite, son regard se perd, sa voix hésite ; elle voit un fantôme, lui parle, et dévoile ainsi son histoire, celle d’une femme moderne, dévouée à sa carrière, qu’un drame a failli briser.

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En comité restreint dans cette cave humide où s’adresse à nous une jeune femme quasi-statique, on se croirait davantage à une soirée d’amis où l’on se raconte, à la première personne, des histoires à faire peur, plutôt que face à une pièce de théâtre. Cependant, l’ambiance intimiste et froide qui règne dans la salle est étrangement accrocheuse : pour une telle représentation, le choix d’une cave n’est pas anodin, mais fait partie intégrante de l’œuvre en elle-même. L’utilisation de la lampe torche comme seul éclairage, positionnée en contre-plongée du visage de la comédienne, est particulièrement brillante en cela qu’elle modèle, façonne, transforme toutes ses expressions : ombres immenses projetées sur les murs de pierre, traits durcis, pâleur cadavérique et yeux bleus perçants sont parfois à glacer le sang. Sous l’effet de cette lumière, la jeune femme apparaît tantôt comme une victime, tantôt comme un monstre terrifiant : une pluralité de résultats impressionnante pour un si simple appareil.

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L’intrigue, imaginée par José Drevon, est très bien ficelée, parvenant à captiver le spectateur par un suspense constant et un savoureux mélange des registres : le texte mêle avec simplicité l’humour à la tragédie, donnant une importance capitale à des choses de prime abord futiles, mais qui se retrouvent téléscopées dans un moment de panique… comme dans la vie. Malgré l’évidente exagération composant le comique de l’histoire, on y retrouve aisément une certaine justesse et de réelles interrogations sur le monde actuel.

Enfin, la comédienne, Pearl Manifold, est très convaincante dans son rôle de working woman surmenée, prête à tout sacrifier pour enchaîner les promotions et faire une carrière brillante, quitte à en perdre la tête dans ce monde de requins. En particulier, sa diction impeccable malgré le léger écho de la cave et son débit de parole très rapide (à l’image du personnage) sont très impressionnants. On pourrait l’écouter pendant des heures s’adresser aux fantômes qui se tiennent tout près de nous dans la pénombre…

Une découverte aussi surprenante qu’accrocheuse au royaume des spectres.

 

 

 

Croisement

écrit et mis en scène par José Drevon

avec Pearl Manifold

 

du 23 mai au 15 juin

 

dans le cadre du Festival de Caves

www.festivaldecaves.fr