"CTRL-X" Lost in mediatization

Raccourci clavier pour « couper ». Du monde, de la réalité, des relations envahissantes, ça n’est jamais très clair. Mais ce flou absorbe. En effet, Cyril Teste et le collectif MxM proposent une esthétique grandiose perdue entre l’anticipation naturaliste et la déréalisation numérique environnant le personnage d’Ida. Ce qui sert avec délicatesse et précision le texte de Pauline Peyrade. On peut souvent reprocher à certains spectacles un déploiement superflu d’une technique démesurée qui finit immanquablement par dévorer les comédiens au plateau, nous les faisant oublier. Ici, non. On l’oublie. On ne la ressent plus. On ne voit qu’elle, Ida. Perdue au milieu de son intimité. Se débattant passivement entre les sollicitations désincarnées de sa sœur, son coup de la veille, son amour perdu. La scénographie de Teste permet d’observer et ressentir concrètement les différentes incursions digitales dans la chambre, textos, mails, vidéos, interphone, etc. C’est par une grande baie vitrée au fond de la scène que nous est proposée le regard d’Ida sur le monde qui l’entoure. Le travail sonore, notamment sur les voix des comédiens, renforce cet aspect intime, et finit de nous placer dans la position tout à fait subjective du personnage principal, presque comme on le serait dans Elephant de Gus Van Sant. On aime à se perdre avec elle dans les circonvolutions fumeuses de sa situation, dans un univers qui nous est connu et presque quotidien. Comment se couper du monde lorsqu’on en a besoin alors que n’importe qui ou quoi peut s’y insérer à chaque seconde ? Perdant la possibilité de réfléchir, penser, méditer, on finit par machinalement succomber à la surmédiatisation de notre environnement, avant l’inévitable trop plein qui entraînera une réaction impulsive et épidermique, nécessairement marginalisante.

Cyril Teste propose ici une chose nouvelle, un type d’évolution formelle du spectacle vivant, précisément centrée entre le cinéma et le théâtre. Ce n’est pas totalement le premier, mais résolument autre chose que le second. L’utilisation des différentes esthétiques vidéo, sonore et scéniques est d’une précision absolue, si bien qu’elle paraît évidente à chaque fois. Sans que l’on ne s’y attende jamais. Et cela transporte les mots de l’auteure dans un monde où ils ont leur place. On vit plusieurs jours avec cette fille perdue, en cinquante minutes que l’on ne sent pas s’écouler.