« De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites », mise en scène Isabelle Carré, Théâtre de l’Atelier

Article de Sébastien Scherr

Rayonnante mère indigne

Matilda et Ruth vivent avec leur mère qui les élève seule. Veuve au cœur desséché, folle de solitude, aigrie, incapable d’aimer ni la vie ni ses filles, Beatrice Hundsdorfer fait tout pour leur pourrir l’existence. Les deux adolescentes réagissent différemment à cette influence malfaisante : l’aînée, qui cherche à plaire et à ressembler à sa mère, à force de rejets incompréhensibles, devient épileptique ; la cadette, résignée, s’est réfugiée dans ses études et une passion pour la science. Elle étudie le rayonnement étrange du nucléaire et son influence sur la croissance des fleurs. Certaines périssent, d’autres survivent à travers des mutations.

COMPORTEMENT DES MARGUERITES Photo Alice et Armande (Libre de droit (c)Christophe Vootz)_3
Isabelle Carré réussit doublement à restituer cette belle histoire de désamour. Tant sa mise en scène que son interprétation sont à la hauteur de ce texte exigeant et fort. Tout y est juste. Sans excès, mais sans concession, le trio féminin nous embarque dans cette histoire de famille singulière et universelle. Le texte est magnifiquement rendu dans la crudité et la violence des dialogues. « La science, la science, la science… ils ne peuvent pas t’enseigner des choses utiles ? » assène Béatrice à sa fille Matilda qu’elle sait éprise de physique. A tout moment elle cherche malgré elle à la décourager pour ne pas risquer de la voir réussir, elle qui a tout raté. Ou encore « Si je n’avais pas connu ton père, je serai devenue une grande danseuse ». Entièrement centrée sur son nombril, cette mère indigne ne soupçonne pas l’existence d’êtres vivants et aimants autour d’elle.

COMPORTEMENT DES MARGUERITES Photo Alice et Isabelle (Libre de droit (c)Christophe Vootz)_2
La scénographie plonge la petite famille dans le décor un peu kitch d’un salon seventies, où les cadavres de bouteilles se disputent avec des vêtements épars sur une moquette sale. La bonne idée est d’avoir placé au centre de la scène un tableau d’écolier en ardoise verte qui fait office de paravent : l’éducation est bien le thème central de la pièce, tant celle de la connaissance, dénigrée par la maudite mère, que celle de la morale et des bonnes mœurs transmise par l’exemple, – ici le contre-exemple.
Surtout, le personnage de la mère est époustouflant de vérité car Isabelle Carré la dessine sans demi-teinte ni caricature, dans la simplicité nue de sa souffrance étalée au grand jour, dans la parfaite inconscience de son égoïsme à toute épreuve. Ni la metteure en scène ni l’actrice ne porte de jugement sur cette femme méchante. Elle la révèle telle qu’en elle-même, et sa monstruosité n’en est que plus éclatante. Toute humaine. Les deux jeunes comédiennes qui l’accompagnent ne sont pas en reste. Elles apportent fraîcheur et jeunesse en contraste avec leur mère, et savent aussi jouer en nuance la désespérance qui les atteint de façon sûre et lancinante.

De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites
De Paul Zindel
Mise en scène Isabelle Carré
Adaptation et collaboration à la mise en scène Manèle Labidi-Labbé
Avec Isabelle Carré, Alice Isaaz, Lily Taïeb et Armande Boulanger en alternance

Du 17 décembre 2015 au 15 janvier 2016

Théâtre de l’Atelier
1, place Charles Dullin
75018 Paris
www.theatre-atelier.com