« DÉCRIS – RAVAGE » d’Adeline Rosenstein, gesticule le mouvement du monde

Décris-Ravage, mise en scène Adeline Rosenstein © Michel Boermans

Avec finesse, humilité et ce qu’il faut d’impertinence, Décris-Ravage d’Adeline Rosenstein nous invite à déconstruire notre regard sur la question palestinienne.

Comment trouver les mots justes pour évoquer ce spectacle qui joue tant avec la sémantique ? Les cinq comparses désacralisent les mots, les décortiquent pour finir par les remplacer par des gesticulations. La forme même de Décris-Ravage échappe à toute définition. Est-ce du théâtre documentaire ? Il y a bien quelques personnages nommés – Guagii, Brigitte et les crapules – mais pas de trame narrative. Il y a bien du théâtre dans le théâtre mais il est traversé par le prisme de la traduction, ou plus exactement du débat entre différents traducteurs·trices. Toute farce est court-circuitée, tout pathos désamorcé. « Il y a quand même un peu trop de morts pour raconter la grosse comédie », confie Adeline. Est-ce une conférence ? Nourris de nombreux témoignages et traités d’Histoire, nous revivons la campagne d’Égypte de Napoléon de 1798, les conquêtes de 1830, la cartographie de l’Empire Ottoman, les accords de Sykes-Picot de 1916, la Nakba de 1948 (exode des Palestiniens) mais le ton, bizarrement situé entre du Noam Chomsky, du Michel Foucault et du Pierre Desproges, est trop décalé – et rappelons-le, gesticulé – pour s’y tromper. C’est que la forme participe déjà au propos.

Nous avons appris à regarder l’Histoire et les conflits à travers des représentations que nous avons internalisées, puis dont nous avons oublié la source. Ce spectacle est une tentative de représentation sans représentations. Nous sommes invité.es à visualiser des tableaux, des photographies et vidéos, qui n’apparaîtront jamais, remplacés par des projectiles de papier mouillé jetés contre un mur ; geste absurde non sans rappeler l’absurdité de nos propres projections. On nous a offert des « rêves et on met des décennies, parfois des siècles à se réveiller » nous est-il rappelé. Quel regard porter lorsque aucune image n’est imposée ?

Certain.es connaîtront peut-être la cartographie radicale qui met à mal la croyance en l’objectivité, la neutralité et la scientificité des cartes traditionnelles en proposant de nouvelles cartes qui assument leur subjectivité. Dans la même verve, Décris-Ravage nous propose de chorégraphier l’Histoire. Tentative vaine et ludique qui nous rappelle surtout qu’elle n’est qu’un assemblage de « passés préférés », que derrière chaque gros mot – civilisation, nation, race, vérité etc. –, il y a une multiplicité de points de vue – journalistique, théâtral, traditionnel, scientifique, stratégique, social etc. –, et d’intérêts cachés – les fameuses crapules en réservent un certain nombre –.

Décris-Ravage ressemble à un petit traité d’émancipation historique dont la moralité, s’il y en a une, serait de rester ouvert à la rencontre d’autres visions de cette question palestinienne et osons le dire, du monde. Le doute est là, célébrons-le.

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Décris-Ravage, mise en scène Adeline Rosenstein © Michel Boermans

Informations pratiques

DÉCRIS – RAVAGE — DOCUMENTAIRE SUR LA QUESTION DE PALESTINE

Textes écrits et recueillis, mise en scène
Adeline Rosenstein

Avec
Marie Alié, Salim Djaferi, Léa Drouet, Adeline Rosenstein, Thibaut Wenger

Espace Yvonne Harder
Lumière Arié van Egmond
Création sonore Andrea Neumann
Direction technique et régie Lou van Egmond
Direction technique Jean-François Philips
Regards scientifiques Jean-Michel Chaumont, Henry Laurens, Julia Strutz, Tania Zittoun
Production Little Big Horn

Dates
Du 26 au 28 mai 2023 à la MC93, maison de la culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny

Durée
4h10 (entracte compris)

Adresse
MC93, maison de la culture de Seine-Saint-Denis Bobigny

9, boulevard Lénine
93000 Bobigny

Informations complémentaires

MC93, maison de la culture de Seine-Saint-Denis Bobigny
www.mc93.com/saison