« DOM JUAN » de Macha Makeïeff, Baroque et monstre

Dom Juan de Macha Makeïeff © Juliette Parisot

Le libertin se définit de deux manières différentes. Il y a celui du Grand Siècle, le penseur brillant et libre – et qu’incarne, dans la majorité des mises en scène, le personnage de Dom Juan. Et il y a celui du XVIIIème siècle, le scandaleux et l’insolent. Le Dom Juan de Macha Makeïeff, c’est celui-ci : un homme dépourvu de principes, chez qui la séduction est une arme pour assoiffer ses désirs charnels, et dont le traitement révèle ici toute la monstruosité.

Après Tartuffe Théorème, Macha Makeïeff poursuit son investigation autour de la figure de l’homme prédateur et crée Dom Juan. Dans cette mise en scène, tout se passe sous un clair-obscur très XVIIIème siècle français. Dans une atmosphère sadienne, le décor s’inscrit dans la sensualité épidermique d’un siècle où triomphe la figure du libertin, jusqu’aux plus grands excès. S’emparant de cette comédie de Molière, Macha Makeïeff propose une aventure plastique délicieusement baroque qui nous interroge : où en sommes-nous de la séduction, du désir, de l’emprise.

Le pari de Macha Makeïeff est parfaitement réussi. Dom Juan est d’ordinaire attirant, brillant, dont son libertinage dépasse les désirs charnels pour se tourner vers une véritable remise en question de la société et de ses attentes. Ici au TNP, rien de tout cela : dès sa première apparition, Dom Juan effraie, repousse, menace. L’interprétation parfaite de Xavier Gallais nous présente un homme dans toute sa monstruosité, sa perversité, sa décadence hybride. Le corps du personnage, si grand et beau, s’affaisse, semble fondre, perdre petit à petit une prestance qu’il pensait acquise. Ses silences sont travaillés, expressifs, moqueurs. Dom Juan représente, dans cette mise en scène, un danger permanent. Il méprise les autres, manipule les femmes, menace et verbalement et physiquement ceux qui le contredisent, à commencer par Sganarelle qu’il n’hésite pas à blesser quand bon lui chante.

L’esthétique baroque du spectacle est un outil sans cesse utilisé et magnifié pour mettre en scène la décadence du personnage. Enfermé dans un salon certes coloré et magnifique, il n’en demeure pas moins enfermé. Là où la pièce est une déambulation des deux personnages, ici Macha Makeïeff choisit un huis clos pour Sganarelle et Dom Juan, qui ne sortent presque jamais de la maison du maître, sinon à perte : le combat qui fait se rencontrer Dom Juan et le frère d’Elvire ; la statue du Commandeur. Dans ce huis-clos, le personnage est sans cesse en représentation de lui-même, dans un narcissisme constant se mêlant à sa perversité. Et ce huis-clos finit par pousser Dom Juan dans ses derniers retranchements, jusqu’à frôler la folie.

Face à cet épuisement du personnage, il y a le féminin qui prend sa revanche. La scène est prise d’assaut par trois femmes incarnant tour à tour libertines, Mathurine, Charlotte, Commandeur. Elles se méfient, s’interrogent, repoussent ce Dom Juan qui ne leur veut au fond que du mal. Et l’incarnation la plus exemplaire de leur rébellion et leur revanche, c’est bien sûr Elvire. Dans sa mise en scène, Macha Makeïeff propose une Elvire loin de la jeune première que l’on se représente souvent. Ici, l’épouse abandonnée de Dom Juan est une femme mûre, blessée au-delà de la simple naïveté qu’on lui prête d’ordinaire. Face à un monstre aux abois, elle se tient grande, droite, abîmée par la blessure mais d’autant plus forte et prête à affronter Dom Juan, à lui crier enfin « Non ».

En somme, cette nouvelle mise en scène de l’une des plus célèbres pièces de Molière est un savant mélange de baroque, de théâtralité sous toutes ses facettes, de sensualité et de monstruosité.

THEATRE - DOM JUAN
THEATRE - DOM JUAN
THEATRE - DOM JUAN
THEATRE - DOM JUAN

Dom Juan de Macha Makeïeff © Juliette Parisot

Informations pratiques

DOM JUAN – Compagnie MadeMoiselle

Auteur(s)
Molière

Mise en scène, décor et costumes
Macha Makeïeff

Avec
Xavier Gallais, Vincent Winterhalter, Irina Solano, Pascal Ternisien, Xaverine Lefebvre,
Khadija Kouyaté, Joaquim Fossi, Anthony Moudir, Jeanne-Marie Lévy
Lumière Jean Bellorini (directeur du TNP)
Son Sébastien Trouvé
Maquillage et perruques Cécile Kretschmar
Production Mathieu Gerin
Coproduction Compagnie MadeMoiselle (Macha Makeïeff), TNP, La Criée (Théâtre National de Marseille)

Dates
Du 9 au 22 mars 2024 au Théâtre National Populaire de Villeurbanne
Du 20 avril au 19 mai 2024 à l’Odéon – Théâtre de l’Europe, Paris
Avant-premières les 20 et 21 avril 2024

Durée
2h30

Adresse
Théâtre National Populaire
8, place Lazare-Goujon
69627 Villeurbanne Cedex

Informations complémentaires
Théâtre National Populaire de Villeurbanne
www.tnp-villeurbanne.com

Macha Makeïeff – Compagnie MadeMoiselle
www.machamakeieff.com