« EN TRANSIT », Salle des vies perdues

En transit, mise en scène Amir Reza Koohestani © Magali Dougados

Salle d’attente, zone de transit, de non-droit, de rétention, salle des pas perdus d’autrefois, salle des vies perdues d’hier, d’aujourd’hui et de demain, purgatoire… Espace vide de toute humanité.
Nous y sommes.

Dans la vaste salle Jean-Louis Barrault du théâtre d’Orléans, la scénographie d’Éric Soyer recrée un vide dans l’espace vide du théâtre. Un vide mental, un vide glacial, un vide blanc comme un trou de mémoire aux allures de trou noir… De grands panneaux de verre coulissent à leur gré pour mieux modifier l’espace et le réduire parfois jusqu’à emprisonner dans des cabines de verre les êtres humains qui se sont fait prendre au piège, tels les insectes dans les gobe-mouches en forme de carafes, posés sur les tables d’autrefois…
L’usage de la vidéo qui démultiplie les visages sur les surfaces blanches, semble réduire d’autant la taille des personnages piégés par l’œil impitoyable des caméras qui pourraient bien être également de surveillance…

Quatre comédiennes remarquables incarnent tous les personnages, hommes comme femmes. Et, l’air de rien, elles ont changé de personnage ou inversé leurs rôles, avant d’avoir laissé au spectateur le temps de s’apercevoir qu’elles avaient changé de coiffure, ou qu’elles parlaient une autre langue. Car elles donnent l’illusion de parler toutes les langues (français, anglais, farsi, portugais…), étant elles-mêmes de langues différentes. Comme si Amir Reza Koohestani tentait de nous dire, qu’avec un peu d’effort, il n’est pas si difficile d’essayer de se comprendre…

Ce que ne font absolument pas (ça se saurait…) les fonctionnaires des polices des frontières lorsqu’ils interpellent une personne à propos de son passeport. Absurdité administrative, absence d’explication, de réponse, mur de silence, incompréhension, feinte ou réelle, de la langue de l’autre, mur de consignes et d’interdits… C’est, comme le montre Koohestani, « un système assez effrayant qui sait parfaitement ne pas être surveillé, et qui utilise en toute conscience le mot déportation (en anglais, pour désigner ces migrants extradés, on dit « deported ») pour parler du sort des gens qu’il refoule à la frontière ».

Jouant sur une double temporalité, entre aujourd’hui et 1940, le spectacle est conçu comme la mise en abîme de ce qu’il lui est arrivé en 2018 alors qu’il travaillait à une adaptation de Transit, un roman d’Anna Seghers qui parle des exilés fuyant le régime nazi en 1940. Ce jour-là, il est arrêté à l’aéroport de Munich (ville où nombre de ses spectacles ont été montés et joués avec succès depuis 20 ans) et, son passeport confisqué, il est condamné à l’attente et à l’incertitude… Alors qu’il s’apprêtait à écrire sur l’exil, le voilà qui rejoint le sort des réfugiés et leur lot d’inquiétude, de peur et d’angoisse…

Constatant que les choses n’ont guère changé depuis le roman d’Anna Seghers, que la même absurdité Kafkaïenne est toujours de mise, il décide d’ancrer l’écriture du spectacle dans le roman même, en y combinant son expérience personnelle d’aujourd’hui qui est, encore et toujours, l’expérience de milliers de personnes sous l’œil indifférent des contemporains que nous sommes.

Ainsi les quatre comédiennes qui jouent tous les personnages, jonglent, en plus, avec le temps, avec des bonds de 80 ans (aller-retour) en moins d’une seconde, comme si de rien n’était, passant simultanément des personnages de fiction du roman aux personnages réels d’aujourd’hui, les faits et les situations restant souvent tragiquement les mêmes.

Alors, qu’Amir Reza Koohestani se rassure. Même si, comme il le pense, il y a peu de chance pour que les législateurs et agents de l’immigration viennent assister à En transit, le spectacle répond à toutes les interrogations qu’il se pose, tout en touchant le spectateur au plus juste et au plus sensible, au-delà des époques, des pays, des identités et des langues, par la plus belle universalité qui soit, celle du théâtre.

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En transit, mise en scène Amir Reza Koohestani © Magali Dougados

Informations pratiques

EN TRANSIT – Création 2022

Auteur
Amir Reza Koohestani et Keyvan Sarreshteh
Librement adapté du roman Transit d’Anna Seghers

Mise en scène
Amir Reza Koohestani

Avec
Danae Dario, Agathe Lecomte, Khazar Masoumi, Mahim Sadri

Scénographie et lumière Éric Soyer
Vidéo Phillip Hohenwarter
Création musicale Benjamin Vicq (composition)
Costumes Marie Artamonoff
Assistanat à la mise en scène Isabela De Moraes Evangelista
Production Comédie de Genève

Dates
Mercredi 15 mars et Jeudi 16 mars 2023 au CDN Orléans / Centre-Val de Loire, Orléans

Durée
1h20

Adresse
CDN Orléans / Centre-Val de Loire
Boulevard Pierre Ségelle
45000 Orléans

Informations complémentaires

CDN Orléans / Centre-Val de Loire
www.cdn-orleans.com