« Les Enfants du Silence » de Mark Medoff, mise en scène d’Anne-Marie Etienne au Théâtre Antoine.

Un article d’Irène Le Goué

 

Une empathie sans passion

 

Jacques Leeds, orthophoniste, enseigne la lecture sur les lèvres et la langue parlée dans un institut pour sourds et malentendants. Sarah Norman, jeune femme solitaire attachée à son existence silencieuse, refuse de se plier à l’apprentissage de la langue majoritaire. Tombés amoureux, ils tâcheront de se comprendre et de fiancer leur différente appréhension du monde.

© Cosimo Mirco Magliocca / collection Comédie Française

Écrite en 1980, adaptée au cinéma en 1986 et montée en 2015 au Vieux-Colombier avant sa reprise aujourd’hui au Théâtre Antoine, Les Enfants du Silence est présentée comme un « véritable plaidoyer en faveur du droit à la différence ». La pièce de Mark Medoff évoque de nombreux thèmes rarement exposés sur la scène théâtrale : infantilisation, manipulation et abus sexuels sur les personnes dites handicapées, sentiment d’appartenance à une communauté, refus de la langue majoritaire, amour interdit entre professionnel et usager d’un institut, question de la « descendance à son image ».

Il y a de belles intentions dans la démarche de monter une pièce bilingue en langue des signes à la Comédie Française. Trente-cinq ans après sa publication, la troupe s’en empare avec respect et précision : on salue l’apprentissage de la langue par les interprètes – notamment Françoise Gillard (Sarah) très expressive dans le silence, et Laurent Natrella (Jacques) en traduction simultanée. Pourtant, on peut déplorer l’écueil dans lequel file tristement le spectacle : la seule poétisation de la différence. Une même image ouvre et clôt le spectacle : celle de Sarah, debout en avant-scène devant le rideau, un cercle de lumière baignant son visage et ses mains qui signent avec cérémonie le mot « union », sur quelques notes de piano nostalgiques.

Dans Les enfants du silence, les personnages sourds sont des adultes. La distribution choisit pourtant de prendre au mot le titre poétique, en opposant la longue silhouette de Laurent Natrella à celle de femme-enfant de Françoise Gillard, coiffée d’une queue de cheval juvénile. Ce personnage de jeune femme sourde de naissance, continuellement infantilisée dans la pièce, l’est également dans la mise en scène.

Prenant place dans une scénographie simple et sans fantaisie, le jeu quasi cinématographique des comédiens, plus sensible que sensuel, entraîne davantage la compassion intellectuelle que l’émotion chez le spectateur.

On regrette que la mise en scène n’engage pas de véritable manifeste en transcendant le texte et son histoire cruelle : l’interpellation est finalement timide et manque d’urgence de faire changer le regard des spectateurs entendants sur les choix et revendications des personnes sourdes.


 

Les enfants du silence
 

Texte de Mark Medoff

Mise en scène : Anne-Marie Etienne
Adaptation française :Jean Dalric et Jacques Collard

avec les acteurs de la Comédie-Française : Françoise Gillard, Laurent Natrella, Elliot Jenicot, Anna Cervinka, Catherine Salviat, Alain Lenglet et Coraly Zahonero.

Décor : Dominique Schmitt
Costumes : Florence Emir
Lumières : Laurent Béal
Son et musique : François Peyrony
Maquillages et coiffures : Cécile Marchione
Assistante mise en scène : Raphaëlle Cambray
Assistante costumes : Siegrid Petit-Imbert
Conseiller en langue des signes française : Joël Chalude
 

Jusqu’au 26 février 2017
(Surtitrage les mardis et dimanches)
 

Au Théâtre Antoine
14 boulevard de Strasbourg
75010 Paris
 

http://www.theatre-antoine.com