Entretien réalisé par Ondine Bérenger
Théâtreactu : Comment est né le festival ?
G.D : Le Festival est né il y a dix ans, d’une rencontre avec le Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon. C’était une commande : on m’a demandé de créer un spectacle pour célébrer la libération des camps. On était en 2005, et j’ai créé un spectacle dans une cave, le Journal de Klemperer qui se joue encore aujourd’hui. A la fin de la représentation, ça s’est tellement bien passé qu’avec les comédiens, on s’est dit qu’on aimerait bien faire d’autres spectacles dans des caves et des sous-sols.
Donc le Festival est né d’une idée d’aller faire du théâtre ailleurs, dans des sous-sols, dans des endroits secrets, où les gens n’ont pas l’habitude d’aller, et qui serait pour les acteurs un endroit de liberté totale, avec très peu de spectateurs, ce qui permet une écoute géniale. Et puis, ça donne lieu à une grande liberté de fabrication : puisqu’on découvre un nouveau lieu pour faire du théâtre, on va tenter de faire exploser ce lieu et d’inventer un théâtre.
J’ai la chance de connaître des comédiens absolument formidables, avec qui on invente tous les ans ce festival. C’est la même troupe d’acteurs qui revient toujours, qui joue tous les spectacles. C’est un festival de création. On répète pendant un mois, puis les spectacles se jouent à Besançon et partent en tournée partout en France. C’est un Festival qui ressemble assez à celui d’Avignon à ses débuts avec Jean Vilar. Nous invitons plusieurs metteurs en scène, mais c’est une même troupe qui joue ensemble les spectacles. J’aime beaucoup cette idée d’avoir un collectif de comédiens qui ne vivent pas à Besançon toute l’année mais se réunissent ici à partir du mois d’avril pour répéter et jouer les spectacles.
Théâtreactu : Les caves appartiennent à des particuliers, comment les avez-vous trouvées ?
G.D : Au début, on les a cherchées, maintenant on nous en propose, que ce soit à Besançon, dans des villages en Franche-Comté, en Bourgogne et partout en France, mais également en Suisse. On va dans des villages de cent, deux cents habitants mais aussi des villes-centre comme Bordeaux, Montpellier, Paris, Nantes, Orléans, etc. Ce sont les gens qui demandent. Hier, soir, j’étais dans un village où 50% des gens votent pour des extrêmes. C’est intéressant d’aller jouer là-bas. Cela prouve que nous répondons à un sentiment d’abandon de la France. Et nous, on tente de travailler sur cette question, même si ce n’est pas l’objectif premier. L’objectif c’est de faire du théâtre et d’être libre.
Théâtreactu : Comment gérez-vous le choix des spectacles ?
G.D : Les comédiens et metteurs en scène que nous invitons font exactement ce qu’ils veulent. Ce n’est pas un festival de programmation, mais de création : nous faisons entièrement confiance aux artistes invités. Il n’y a aucune ligne directrice, aucun thème, aucune obligation. Parfois, on nous dit « vous faites du contemporain »… oui, par exemple. Mais une année, on avait aussi adapté Macbeth. On ne s’impose pas le contemporain. Je refuse aussi toute demande politique de faire un festival des émergences. En fait, je refuse toute étiquette. Comme ça, on fait exactement ce qu’on veut.
Théâtreactu : Un mot sur l’organisation générale ?
G.D
L’équipe du Festival est polyvalente, tout le monde peut tout faire…par exemple, conduire un camion, décharger des caisses, s’occuper de la billetterie. Il y a quelque chose de particulier jusque dans le fonctionnement et l’organisation du Festival. L’idée, c’est d’être sur tous les fronts afin de renforcer la cohésion de l’équipe. Et c’est la même chose pour la création. Toutes les propositions artistiques de l’équipe sont entendues et testées dans les caves. Rien n’est interdit et au contraire les spectacles, dont la multiplicité des genres et des formes est très appréciée, quittent les caves pour une seconde vie dans des lieux normalisés. Par exemple, cette année, je fais jouer sept reprises.
On adore le Festival parce qu’il donne un vrai sentiment de liberté et nous permet de créer ce que nous voulons. D’ailleurs, on cherche toujours des villages et des villes qui voudraient nous accueillir. On vient « à la recette », on demande juste un repas du soir et l’hospitalité. Par rapport à l’histoire du théâtre, notre fonctionnement ressemble un peu au début de la décentralisation, dans les années 1947-1957.
Et si jamais les choses se passent mal quelque part, nous n’y retournons pas. Mais c’est toujours intéressant pour nous d’aller dans des endroits qui peuvent parfois sembler improbables. On essaye, si ça marche tant mieux, sinon tant pis.
Le Festival de caves est à la fois un lieu (la cave), une troupe, c’est-à-dire une équipe au sens large, avec une partie technique et administrative, et une manière de faire du théâtre, avec tout d’abord une fidélité au comédien. On invite des metteurs en scène à travailler avec nous. Ils viennent travailler avec nos comédiens et acceptent de prendre un risque, sachant que les comédiens connaissent mieux le festival qu’eux-mêmes. Cela les met presque en danger, mais ils acceptent ce danger-là. C’est un lieu où l’on n’a pas peur de se tromper. Si un spectacle n’est pas bien, ce n’est pas grave, le metteur en scène peut revenir. On peut aussi re-tenter des choses. C’est un festival de la tentative.
Théâtreactu : D’un point de vue technique, comment joue-t-on dans une cave ?
G.D : On ne transforme pas les caves en théâtre. Par contre, on transforme la cave en lieu de théâtre. Pour le reste, ça dépend des spectacles. Il faut toujours renouveler les esthétiques et les formes. Parfois, la pièce n’est éclairée qu’à la lampe torche, comme dans Croisement. Sur d’autres pièces comme Caprices, on a dix projecteurs. Mais on ne va pas tout cintrer et pendrilloner !
Théâtreactu : L’accès aux caves et limité à dix-neuf spectateurs. Quel effet cela a-t-il sur la représentation ?
G.D : En général, l’auditoire et les comédiens adorent cette proximité. Les spectateurs aiment être si peu nombreux. Cela évite d’avoir une dilution de l’écoute comme dans les grands théâtres de huit cents personnes, où les portables sonnent. Chez nous, cela n’arrive presque jamais. Il y a une écoute très forte. Par exemple hier, un spectateur, en sortant, m’a dit « je n’ai pas été spectateur, j’ai été témoin ». C’est quelque chose de très fort de dire ça. Cela n’aurait pas été possible dans une plus grande salle.
Nous, on préfère l’intensité au nombre. Les Caves, c’est retrouver ce plaisir quasiment aristocrate d’aller au théâtre. On nous bassine toute la journée avec le nombre, l’audience… Ce n’est pas ça qui est intéressant. Si vous assistez à une œuvre artistique, ce qui est compte, c’est le choc, l’émotion, la sensation, le plaisir – ou le déplaisir- que vous allez pouvoir en tirer.
Parfois je vais au théâtre, et j’ai l’impression d’assister à une cérémonie de la consommation culturelle. Les caves tentent un tant soit peu d’interroger cela également. A dix-neuf spectateurs, la consommation culturelle n’a pas lieu. Les gens ne vont pas assister à un spectacle vu à la télévision ou à la radio. On peut dire que ce festival est un festival de circuit court : c’est produit ici, consommé ici. On ne l’a pas vraiment fait exprès : il y a dix ans, on ne se posait pas la question. Mais finalement, c’est une autre manière de faire et de produire du théâtre. J’aime cette idée de faire du théâtre autrement.
Théâtreactu : Pour finir, quelques chiffres, tout de même, sur cette édition ?
G.D : Cette année, nous présentons trente-deux spectacles dans quatre-vingts communes, ce qui représente plus d’une centaine de caves, pour un total de trois cents dates en deux mois.
Festival de caves 11e éditions