La froideur des désirs
L’Un travaille en vendant son corps. L’Autre, le « petit soldat » en quête d’absolu, refuse de s’intégrer au monde. Elle est une femme déterminée, elle travaille, veut un enfant. Marginaux, ils illustrent différents rapports à une société aliénante et potentiellement destructrice. Ils ne sont ni un trio, ni vraiment trois couples : leurs liens ambigus pulvérisent les cadres habituels à travers un étrange jeu chorégraphique qui questionne les relations d’amour, de sexe et de domination. Eric von Stroheim, quant à lui, n’est que le symbole servant de point de départ à la pièce.
© Jean-Louis Fernandez
Trois pans de murs massifs s’ouvrent et se ferment, avalant ou dévoilant tour à tour les personnages qui semblent écrasés par ce gigantisme froid et épuré. A l’extérieur, l’immense photo de Montgomery Clift et Lee Remick dans Le Fleuve Sauvage d’Elia Kazan présente l’image d’un couple faisant écho à la condition des personnages – couple qui, d’ailleurs, se retrouve éclaté à chaque ouverture – tandis qu’entre chaque scène résonne la voix de la Callas dans Samson et Dalila, ajoutant à l’atmosphère languissante de la pièce l’air d’un romantisme trompeur. A l’intérieur des murs, une chambre vide où sont parfois projetés des images, des ombres un peu plus chaudes que l’ambiance alentour. De temps à autres, le décor se fait celui, encore plus glacial et déshumanisé, d’un quartier d’affaire en pleine nuit. Cette scénographie impressionnante et visuellement marquante, signée Emmanuel Clolus, a presque la présence d’un quatrième personnage, et pose un cadre symbolique très fort à la représentation.
Les trois comédiens misent également sur un jeu distancié pour accentuer cette sensation de froideur qui entoure les désirs et les relations de leurs personnages. Tout, en ces derniers, fait sentir la désillusion, le vide que chacun tente de combler pour continuer à vivre et à donner du sens au monde. Il s’en dégage une sorte de mélancolie mystérieuse, troublante et presque angoissante, qui désarçonne le spectateur. Cependant, la langueur se fait parfois lenteur, et quelque chose, dans ce trop-plein de désabusement et de vie fantomatique, finit par briser l’adhésion du spectateur ; à trop distancier, on égare. Pourtant, la pièce est portée par un remarquable trio : Emmanuelle Béart est saisissante en femme affairée dont le travail rythme la pièce, tandis que Thomas Gonzalez, avec sa nudité comme costume, possède le charme énigmatique d’une jeunesse où se mêlent pureté et souillure. Victor de Oliveira (en alternance avec Laurent Sauvage) complète ce tableau en campant un travailleur du sexe mesuré et grave.
© Jean-Louis Fernandez
C’est donc une émotion en demi-teinte que suscite cette mise en scène de Stanislas Nordey qui, bien que justement dérangeante et poussant à la réflexion, n’atteint pas l’intensité à laquelle elle aurait pu prétendre.
Erich von Strohem
de Christophe Pellet
mise en scène Stanislas Nordey
avec Emmanuelle Béart, Thomas Gonzalez, et Laurent Sauvage en alternance avec Victor de Oliveira
Collaboration artistique Claire Ingric Cottanceau
Scénographie Emmanuel Clolus
Lumière Stéphanie Daniel
Son Michel Zurcher
Vidéo Claire Ingrid Cottanceau et Stéphane Pougnand
Décor et costumes Ateliers du Théâtre National de Strasbourg
du 25 avril au 21 mai
au Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
http://www.theatredurondpoint.fr