Un article de Camille Mouterde.
Anticipation, vous avez dit anticipation ?
Jour des élections présidentielles.
Une pluie diluvienne s’abat sur la capitale d’un pays qui pourrait être la France.
Les bureaux de vote attendent fébrilement les électeurs qui tardent à venir. L’on s’inquiète.
À raison. Car si finalement ils viennent voter, les résultats en sont pour le moins inattendus : 80% ont voté BLANC.
C’est la débâcle au sein du gouvernement fraichement élu, qui y voit une contestation manifeste du système démocratique. On suit alors ses membres se déchirer pour savoir quelle sera la meilleure réponse à cet affront révolutionnaire.
Pour asseoir leur autorité et pour retrouver les instigateurs présumés de cet acte – car 80% d’une population agissant de façon spontanée et coordonnée, « ça ne peut exister que chez les fourmis ou les abeilles, pas chez les humains ! » – ils choisissent finalement de faire passer la capitale de « l’état d’inquiétude », leur permettant d’intensifier les interrogatoires, à « l’état de siège » militarisé.
Pourtant, l’enquête mené par le haut-commissaire du « Service de la Vérité », un titre presque orwellien, ne sera pas concluante, et l’on ne trouve aucun coupable tangible.
© Jean-Louis Fernandez
Ces résultats mettent d’autant plus en valeur l’absurdité et la démesure de la riposte de ce gouvernement. Plus elle se radicalise, plus leur isolement se fait sentir, à travers notamment la réduction progressive de l’espace de leur cabinet, dans une scénographie mobile et évolutive. Plus leurs choix se totalitarisent, plus le déluge à l’extérieur s’intensifie, et plus le plateau – le bateau ? – prend l’eau. Face à cet « état d’urgence » politique et climatique, ils sont finalement obligés de fuir leur radeau, médusés et pétrifiés devant une foule vêtue de blanc, marchant sur le Palais, scandant d’un murmure sourd ce même mot : « BLANC ».
La capitale sera alors rendue à ce « mouvement blanc » spontané et pacifiste, dans une nouvelle Commune où tout comme la population, la végétation reprend ses droits, la ville se transformant peu à peu en marécage.
Le gouvernement s’étant retiré, la fête peut-elle alors commencer ? Comme semble nous l’indiquer cette énorme boule à facettes qui apparaît alors.
Pourtant, la classe politique n’a pas encore dit son dernier mot…
Dans un montage très cinématographique, magnifié par des lumières toujours très léchées, la mise en scène est enlevée, portée par des comédiens incarnant la panique de ces politiciens de façon très drôle et loufoque.
Un spectacle aux allures de film d’anticipation politique à la fois très drôle et très beau esthétiquement, nous rappelant le travail de l’auteur et metteur en scène Frédéric Sonntag.
Un spectacle qui, à l’approche des élections présidentielles françaises, pose la question du vote blanc comme réel moyen de rêve-olution, d’ébranlement de notre système politique.
Au début du spectacle, le score de ce vote blanc ne remet pas en question l’investiture du premier parti élu, tout comme en France où il n’incrimine encore aucune élection, même s’il dépasse la majorité des voix.
Un spectacle qui requestionne la légitimité démocratique d’un gouvernement – celui de la pièce ! – qui aurait de telles réactions totalitaires face à la possibilité d’ébranlement de son pouvoir. Anticipation ? On est en droit de se poser la question, alors qu’en France nous venons de fêter les 1 an de « l’état d’urgence » – « état d’inquiétude » inquiétant ? – ainsi que le recours abondant à « cet acte de barbarie », comme le définissait avant d’être élu Monsieur Hollande, l’article 49.3, ce « dénis de démocratie ».
On regrettera cependant que le peuple ne soit réduit ici qu’à une foule uniforme, et non dotée d’aucune forme de pensée collective, semblant n’agir que sous forme de pulsion.
Une foule a-politique qui parvient cependant à faire chavirer le navire.
Sur ce sujet précisément nous sommes bien dans l’anticipation.
© Jean-Louis Fernandez
Ceux qui errent ne se trompent pas,
Un spectacle de la compagnie Crossroad,
Mise en scène par Maëlle Poésy
Texte et Dramaturgie de Kevin Keiss, en collaboration avec Maëlle Poésy,
D’après La Lucidité de José Saramago,
Avec Caroline Arrouas, Marc Lamigeon, Roxane Palazzotto, Noémie Develay-Ressiguier, Cédric Simon, Grégoire Tachnakian
Scénographie d’Hélène Jourdan
Lumière de Jérémie Papin
Son de Samuel Favart-Mikcha
Les 18 et 19 janvier 2017
Théâtre de Sartrouville, CDN des Yvelines
Place Jacques Brel
78505 Sartrouville
http://www.theatre-sartrouville.com