Article de Justine Uro
Scénario d’une révolution par les urnes
Un jour d’élections nationales, dans un bureau de vote, alors qu’il pleut des trombes d’eau, aucun électeur ou presque ne se présente. Il faut attendre 17h30 pour que, d’un mouvement qui semble spontané, la population aille voter en masse, provoquant un taux d’abstention plus faible qu’il n’a jamais été. Les représentants politiques se réjouissent de cet élan citoyen, se félicitent de leurs actions et se satisfont du ressenti d’être écoutés par les électeurs. Mais, dans la soirée, les résultats sont diffusés et ils sont à peine croyables : 80 % de votes blancs. Le parti au pouvoir reste en place, mais avec un taux de suffrage si faible qu’il ne représente pas le choix d’un peuple. Au sein du parti, c’est la panique : comment réagir après une telle débâcle ? Une ministre propose de réviser totalement les institutions, une autre de faire un référendum sur un sujet absurde qui permettra d’occuper les médias et le peuple, une troisième s’obstine à lancer une enquête pour déterminer l’origine de ce mouvement. Rapidement, toute la population est surveillée, suspectée, interrogée. La peur du gouvernement de ne plus être légitime lui fait gérer cette crise en employant la force. Pour imposer leur autorité, ses membres usent du pouvoir et de la répression.
© Jean-Louis Fernandez
Une véritable évolution vers la peur, le chaos, la folie guide la pièce. L’eau de la pluie torrentielle du jour des élections s’est infiltrée partout et jonche le sol. Les personnages, très élégants au début de la pièce, doivent ensuite patauger dans l’eau, perdant leur prestance et figurant la préoccupante situation dans laquelle ils se trouvent. De plus en plus tourmentés, ils portent moins de soins à leur tenue, leur coiffure et leur maquillage. L’espace de leur bureau se rétrécit de plus en plus, métaphore de l’oppression qu’ils subissent. Cet espace est matérialisé par des panneaux mobiles qui laissent passer la lumière. Un vase et des fauteuils complètent le décor. L’évolution dans la pièce est aussi marquée par l’affichage régulier de l’heure sur les panneaux mobiles. Un écran projette, par ailleurs, des prises de parole publiques des politiques et les reportages d’une journaliste sur l’événement historique qui est en train de se dérouler. Faisant écho aux discours des femmes et hommes politiques actuels, la réflexion sur les médias et la communication politique est finement traitée.
© Jean-Louis Fernandez
Les personnages sont très convaincants, interprétés par des comédiens tous excellents. Ceux-ci jouent parfois plusieurs rôles dans une mise en scène très bien cadrée qui le permet tout à fait. Ils parviennent à créer une atmosphère qui fait froid dans le dos, car si on peut penser à l’improbabilité de la situation et de la réaction des personnes dirigeantes, le texte, le talent des comédiens et la beauté de la scénographie créent un univers qui amène à interroger la place de la politique et le partage du pouvoir dans une démocratie.
Ceux qui errent ne se trompent pas
Mise en scène Maëlle Poésy
Avec Caroline Arrouas, Marc Lamigeon, Roxane Palazzotto, Noémie Develay-Ressiguier, Cédric Simon, Grégoire Tachnakian
Dramaturgie Kevin Keiss
Scénographie Hélène Jourdan
Lumière Jérémie Papin
Son Samuel Favart Mikcha
Costumes Camille Vallat
Vidéo Victor Egea
Construction et régie générale Jordan Deloge
Costumes Chantal Bachelier / Juliette Gaudel
Du 5 au 18 décembre 2016
Théâtre de la Cité internationale
17 boulevard Jourdan
75014 Paris
http://www.theatredelacite.com/