« Erzuli Dahomey déesse de l’amour », texte de Jean-René Lemoine, mise en scène Nelson-Rafaell Madel au Théâtre 13 / Seine

Article de Bruno Deslot

Une pluralité des cultures à l’épreuve de la vie

Lauréat 2016 / Prix Théâtre 13 / Jeunes metteurs en scène, la compagnie Théâtre des deux saisons réinvestit le plateau du Théâtre 13 / Seine pour offrir aux spectateurs une proposition aussi singulière qu’inattendue. Le jeune metteur en scène, Nelson-Rafaell Madel s’est approprié le texte de Jean-René Lemoine avec une intelligence et une finesse rare, maîtrisant le rythme d’une écriture délicate et à la fois fulgurante. Ce théâtre de l’urgence est mené, tambour battant, par une équipe de comédiens de haute volée, qui ne se perd jamais dans les méandres d’une mise en scène millimétrée.

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© DR

Dans une petite ville de province française, à Villeneuve, Victoire Maison est veuve, mère de jumeaux, Sissi et Frantz, seize ans et d’un fils aîné, Tristan, déclaré mort dans le crash d’un avion. Le père Denis, prêtre et précepteur, assure l’éducation des jumeaux tout en épiant les faits et gestes de Sissi, pendant que Victoire se perd dans ses rêves de jeunesse et celui d’un érotisme fantasmé. Les jumeaux entretiennent un rapport assez flou, proche de l’inceste ce qui excite le père Denis dont l’intimité est vouée à Dieu. Les deux jeunes gens s’épuisent à regarder des inepties à la télévision et se passionnent pour la mort de Lady Di. Fanta, la bonne de la maison, s’affaire servilement, toute la journée, à gérer des tâches ménagères qui la ramènent à son triste sort : celui d’une Cendrillon mais en couleur !

L’irruption d’un fantôme dans la maison de Victoire sème le trouble et multiplie les interrogations. Félicité, une femme sénégalaise, a parcouru toute l’Afrique pour se rendre à Paris, puis enfin à Villeneuve pour réclamer son fils West à Victoire Maison. Mais qui est donc enterré dans le caveau familial ? La présence de cette femme fait voler en éclats le choc entre deux mondes. L’Histoire est mêlée à l’intime entrant sans cesse dans une violente collision. De l’Europe à l’Afrique, le voyage relève d’un parcours initiatique où chacun tente de cerner les frontières du réel afin de mieux s’en affranchir.

Par un savant jeu de lumières, Nelson-Rafaell Madel restitue toutes les émotions des personnages avec une finesse exceptionnelle. Dans un clair-obscur à la manière du Caravage, les corps se dessinent, existent, se meuvent dans un espace maîtrisé par une parfaite direction d’acteurs. Par touches successives, le changement et l’évolution des personnages se font l’écho d’une semi-obscurité pour aller vers une lumière totale, tout comme la musique, plaintive, s’étoffe vers une chaleur portée par des airs de violoncelle et des rythmes de percussions. Le jeune metteur en scène s’est approprié la musicalité du texte de Jean-René Lemoine et en restitue toute la poésie grâce à une proposition rythmée dont le corps est l’épicentre d’un théâtre du charnel. Hurlements, chuchotements, adresses au public se font l’écho de tous les secrets et non-dits que véhicule chaque personnage. La cadence de chaque mouvement répond à une chorégraphie aussi sensuelle que cruelle. Toujours en action, les comédiens relèvent le défi d’entrer en résonance avec leurs propres émotions pour mieux servir leur personnage. La scénographie est simple mais efficace et ne laisse rien au hasard. Une table, quatre chaises, un banc à l’avant de la scène…le plateau appartient aux comédiens qui l’investissent par fulgurance, jonglant entre mélodrame et vaudeville, un parti-pris risqué mais qui ne force jamais le trait.

Erzuli, est bien la déesse de l’amour consacrée pour cette création qu’honorent toutes l’équipe artistique avec force et engagement.

 

 

Erzuli Dahomey, déesse de l’amour

Texte de Jean-René Lemoine

Mise en scène Nelson-Rafell Madel

Avec Adrien Bernard-Brunel, Alvie Bitemo, Mexianu Medenou, Gilles Nicolas en alternance avec Jean-Claude Fernandez, Karine Pédurand, Claire Pouderoux et Emmanuelle Ramu

Lumières et collaboration à la scénographie Lucie Jolliot

Collaboration chorégraphique Gilles Nicolas

 

Du 13 au 23 octobre 2016

 

Théâtre 13 / Seine

30 rue du Chevaleret

75013 Paris

http://www.theatre13.com/

 

Prochaines dates d’Erzuli Dahomey, déesse de l’amour

Du 16 au 18 février 2017 : Fort de France (97) – Théâtre Aimé Césaire

 

Prochaines créations de la compagnie

Seulaumonde, texte de Damien Dutrait, avec Nelson-Rafaell Mandel

Au Théâtre de Belleville du 6 au 22 novembre 2016 (Les lundis et mardis à 19h15, les dimanches à 20h30)