Article d’Ondine Bérenger
La peur de vivre
Adapté d’Oncle Vania, de Tchekov, Espia a una mujer que se mata reprend l’histoire de cette vie de campagne où les personnages, perdus dans leur peur de vivre, se débattent avec eux-mêmes et s’entrechoquent à travers des relations complexes, sans parvenir à trouver le bonheur.

© Tristan Jeanne-Valès
Un plateau sur le plateau, minuscule salon-salle à manger partiellement cerné de murs, où les personnages vont et viennent en se heurtant presque. La savante colorimétrie qui associe les costumes aux décors forme une mosaïque délicate qui frappe immédiatement la vue. À Jardin, un bureau ; à cour, un juke-box et des sièges, comme une salle d’attente avant l’entrée en scène. Ici, la représentation ne se limite pas à ce qui se passe à l’intérieur du décor, mais elle s’échappe, et les personnages, lorsqu’ils sont en fond de scène ou bien face au public, semblent pris dans un espace trouble entre la fiction et la réalité, dans une semi-conscience de leur propre condition. Souvent pris dans l’action, parfois extérieurs à eux-mêmes, ils jouent le jeu. Ce parti pris est un très bel écho, tant à la pièce d’origine qu’au texte, car en effet, Daniel Veronese n’a pas hésité à multiplier les allusions à l’art dramatique ni même à intégrer des extraits des Bonnes de Jean Genet à son adaptation.
© Tristan Jeanne-Valès
Fidèle à l’œuvre de Tchekov, dont on retrouve aisément les personnages, le style et les sujets dominants, Espia a una mujer que se mata propose cependant une vision condensée, plus rythmée et fébrile de la pièce. Si cela permet d’éviter les longueurs et l’ennui, on remarque toutefois que l’ambiance en pâtit : on n’a guère le temps de rentrer dans la vie des personnages, ni même de s’attacher à eux durant le temps de la représentation. L’histoire est saisissante, mais ici, elle ne heurte pas comme elle le pourrait. De plus, la distribution, inégale, renforce malheureusement ce sentiment, même si l’on saluera avec bonheur les interprétations riches et nuancées de Sonia (Marion LUBAT), Vania (François FRAPIER) et Teleguine (David JEANNE-COMELLO).
Quoiqu’il en soit, le travail de mise en scène de Guy Delamotte regorge de détails et d’idées intéressantes qui invitent à la réflexion, tant sur le texte en lui-même que sur sa restitution vivante. Même si le résultat manque encore un peu d’éclat, on ne peut qu’attendre et espérer que la pièce se rode au fil des représentations pour atteindre la forme, moins lisse, à laquelle elle peut prétendre.
Espia a una mujer que se mata
d’après Oncle Vania, d’Anton Tchekov
texte de Daniel Veronese
Mise en scène Guy Delamotte
Traduction François Thanas
avec Martine Bertrand, Véro Dahuron, Marion Lubat, François Frapier, Alain D’Haeyer, David Jeanne-Comello, Philippe Mercier.
Décor Jean Haas
Costumes Cidalia Da Costa
Lumières Fabrice Fontal
Son Jean-Noël Françoise
Maquillage Catherine Saint-Sever
Régie Valentin Pasquet
du 24 octobre au 23 novembre 2016
Théâtre de l’Epee de Bois
Cartoucherie de Vincennes
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
http://www.epeedebois.com/acces-et-contact/