« Et, dans le regard, la tristesse d’un paysage de nuit », d’après Marguerite Duras, mise en scène Léa Paugam au 104 dans le cadre du Festival Impatience

Article d’Ondine Bérenger

Plage glacée

Adapté de la pièce-roman Les Yeux bleus cheveux noirs de Marguerite Duras, Et, dans le regard… raconte l’histoire d’un homme obsédé par une figure croisée un soir dans un hôtel, et d’une femme qui le rejoint chaque nuit, payée par lui, car elle lui rappelle cet étranger aimé. C’est le récit douloureux d’une destruction mutuelle, d’un amour impossible et d’une crise du désir, qui se déroule lentement au bord du gouffre de l’oubli où les corps se rencontrent et se raccrochent.

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© DR

Une longue bande d’eau immobile en guise de scène bi-frontale. Des éclairages froids, des draps blancs. Un bruit de marée en fond sonore. La scénographie tout entière évoque le froid glacial d’une plage déserte bordant une mer calme, sur une côte venteuse. Les personnages s’y déplacent avec lenteur, froids eux aussi, pâles et graves, d’un air de désespoir qu’ils n’ont même pas encore pu exprimer. Chaque image pourrait être un cliché en noir et blanc tant l’esthétique épurée de la mise en scène est photographique.

Cependant, le texte aussi semble froid et immobile. En effet, Léna Paugam fait ici le choix de respecter à la lettre le phrasé de Marguerite Duras, faisant dire aux comédiens ce qui, dans le texte, équivaudrait à de longues didascalies – ces passages, précisément, faisant que la pièce échappe à toute classification en se rapprochant du roman. C’est une belle idée, car la langue est splendide, mais malheureusement, un tel parti pris fige encore davantage la représentation, qui devient alors très narrative, glaciale et non plus froide, statique et non plus lente. Les personnages ainsi extraits d’eux-mêmes sont comme externes à leur histoire, et ce type de « nouveau roman théâtralisé » éloigne encore davantage le spectateur de l’action. Par conséquent, les quelques passages où l’émotion tente de revenir paraissent alors décalés, voire déplacés ou gênants, ce qui est pour le moins perturbant.

Toutefois, les comédiens font un très bon travail dans ce style à la fois froidement narratif et très chorégraphique. Leurs mouvements surtout permettent de captiver le spectateur tout au long de la représentation : le corps est la pierre angulaire de toute la tragédie. Les voix sont calmes, posées, en particulier celle de Sébastien Depommier, sorte de conteur au timbre grave et au ton presque mesguichien. Fanny Sintès, quant à elle, par sa gestuelle souple et son costume blanc, attire le regard de façon magnétique, corps parmi les corps, toujours sous la lumière.

Ainsi, si la pièce parvient à concentrer l’attention, et le permet pour autant pas l’adhésion. On y assiste, mais l’on n’y rentre pas.

 

 

Et, dans le regard, la tristesse d’un paysage de nuit

d’après Les Yeux bleus cheveux noirs de Marguerite Duras

Mise en scène Léa Paugam

Adaptation théâtrale Sigrid Carré-Lecoindre et Léna Paugam

avec Sébastien Depommier, Fanny Sintès et Benjamin Wangermée

Travail chorégraphique réalisé en collaboration avec Thierry Thieu Niang

Scénographie François Luberne et Léna Paugam

Lumière Jennifer Montesantos

Composition musicale Aurélien Dumont

Création sonore Manuel Poletti

Ingénierie sonore Sylvain Cadars

 

Festival Impatience 2016

 

2 et 4 juin

 

Centquatre

5 rue Curial

75019 Paris

www.104.fr