« Fantasio », de Jacques Offenbach, mise en scène Thomas Jolly au Théâtre du Châtelet

Un article d’Ondine Bérenger

 

Fantaisie au clair de lune 

 

Adapté d’une pièce d’Alfred de Musset par le frère du poète, le Fantasio d’Offenbach relate l’histoire d’un étudiant, « simple bourgeois de Munich » qui, rêvant de changer de vie, prend la place du défunt bouffon du roi. Il rencontre alors la princesse Elsbeth, promise par son père au ridicule prince de Mantoue pour des raisons d’État, et l’encourage à suivre son coeur plutôt que de se sacrifier.

© Pierre Grosbois

Tout d’abord, il convient de dire que l’histoire de cette œuvre a été quelque peu mouvementée : après avoir été un fiasco lors de sa création en 1872, elle fut partiellement perdue dans l’incendie de l’Opéra-Comique et dispersée à travers le monde, avant d’être finalement reconstituée par Jean-Christophe Keck en 2013. Dans cette nouvelle création annonçant la réouverture de l’Opéra-Comique, le livret a été remanié pour laisser davantage de place au texte original d’Alfred de Musset.

Dès le lever de rideau, l’atmosphère émanant du plateau nous happe dans un autre univers. De la première scène musicale en noir et blanc, qui n’est pas sans rappeler un film muet de l’entre-deux guerres, jusqu’au carnaval chatoyant du final, tous les tableaux ont quelque chose de fascinant. Bien que leur esthétique évoque un romantisme allemand déformé par les progrès de la révolution industrielle (sidérurgie et ampoules à incandescence), on ne peut s’empêcher de penser également aux oeuvres de Tim Burton, des sombres Noces Funèbres au vif Alice au pays des Merveilles, à mesure que les couleurs arrivent, touche par touche.

Avec un décor « tout-en-un » (par Thibaut Fack) qui laisse apparaître en ombres chinoises un château inspiré de Neuschwanstein, un cimetière ou encore les façades de la ville sur un grand disque de nocturne, à lumière fantomatique d’une super-lune, nous passons d’un lieu à l’autre en une seconde à peine : une brève obturation de cet étrange diaphragme, qui évoque ces petits appareils-jouets pour enfants qui, lorsqu’on appuie sur le déclencheur, font défiler dans le viseur des dessins ou des photographies.

Ainsi, la mise en scène offre une profusion d’images sublimes, tout à la fois sobres et foisonnantes, toujours poétiques, à l’instar de ce plateau qui semble prendre feu autour d’Elsbeth et Fantasio lors de leur rencontre, ou encore de cette prison circulaire qui permet – paradoxalement – une totale liberté, et se fait le miroir des mots et états d’âme des personnages. C’est en effet là que se trouve la force de la représentation : dans son extrême précision et sa richesse délicate. Thomas Jolly, notamment à travers sa direction d’acteurs, a trouvé sa manière de laisser la musique exister pleinement, de lui permettre de prendre possession de l’espace, en évitant la surenchère scénique. Plus encore, il donne à voir cette musique: descentes d’escaliers, balayages du plateau, couture d’un voile de mariée, chaque mesure, chaque note trouve son écho sur la scène et fait naître une image ou une idée. Le langage musical s’inscrit alors visuellement sur le plateau dans une parfaite harmonie.

© Pierre Grobois

A cet égard, Laurent Campellone dirige l’Orchestre Philharmonique de Radio France avec beaucoup de sensibilité. Notons également l’excellente mise en place du choeur (l’Ensemble Aedes, dirigé par Mathieu Romano) – réussite qui n’est pas si courante à l’opéra ces derniers temps. De plus, les choristes donnent véritablement vie à la population du royaume en multipliant les micro-actions surprenantes dans chaque recoin du plateau. Et que dire des solistes ? Dès son entrée en scène, Marianne Crebassa brûle littéralement les planches dans le rôle de Fantasio. Pierrot lunaire à la silhouette souple et élancée, le charme androgyne qu’elle insuffle à son personnage et le timbre de sa voix puissante la rendent tout simplement hypnotisante. Marie-Eve Munger n’est pas non plus en

reste dans le rôle de la douce Elsbeth, de même que Jean-Sébastien Bou et Loïc Félix (respectivement le Prince de Mantoue et son aide de camp Marinoni) qui forment un duo comique explosif et plein de relief. Tous possèdent une diction impeccable qui permet de se passer du surtitrage, et sont aussi convaincants dans les parties parlées que dans celles chantées. On regrettera seulement que l’acoustique du Théâtre du Châtelet nuise à la projection de certaines voix (Philippe Estèphe/Spark en particulier), qui sont par conséquent moyennement audibles du fait de l’absence de micro. Enfin, saluons également l’incroyable Bruno Bayeux, dont chaque apparition dans un rôle parlé entraîne inexorablement de grands éclats de rire.

« Chanter, rire, pleurer, seul, sans but, au hasard » écrivait Alfred de Musset dans son Impromptu. C’est exactement ce qui a été mis à l’oeuvre dans cette imprévisible et fabuleuse fantaisie qu’est ce Fantasio. En effet, toutes les émotions s’y trouvent condensées et métissées l’une à l’autre, sans que l’on puisse vraiment les nommer une à une. A la fois drôle et émouvant, mélancolique et joyeux, enchanteur et parfois inquiétant, le spectacle nous saisit et l’on se laisse aisément emporter par ce tourbillon merveilleux. On retombe en enfance, et l’on en sort plus grand cependant, avec, encore, des étoiles plein les yeux. Bravo !

© Pierre Grosbois


Fantasio

de Jacques Offenbach

sur un livret de Paul de Musset

Mise en scène Thomas Jolly

Direction musicale Laurent Campellone

avec Marianne Crebassa, Franck Leguérinel, Marie-Eve Munger, Jean-Sébastien Bou, Loïc Félix, Alix le Saux, Philippe Estèphe, Enguerrand de Hys, Kévin Amiel, Flannan Obé et Bruno Bayeux.

Collaboration artistique Alexandre Dain

Décors Thibaut Fack

Costumes Sylvette Desquest

Lumières Antoine Travers et Philippe Berthomé

Assistante direction musicale Claire Levacher

Assistante mise en scène et dramaturge Katja Krüger

Assistant mise en scène pour le choeur Pier Lamandé

Assistante création costumes Magali Perrin Toinin

Chef de chant Martin Surot

Chef de choeur Mathieu Romano

Choeur Ensemble Aedes

Orchestre Philharmonique de Radio France

du 12 au 27 février

au Théâtre du Châtelet

1 place du Châtelet

75001 Paris chatelet-theatre.com

Réservation et informations auprès de l’Opéra-Comique : www.opera-comique.com