Article d’Ondine Bérenger
L’ambition damnée
Un directeur d’opéra propose à Henri, jeune compositeur, d’écrire une œuvre. Aucune limite de temps, d’argent, ou de nombre de collaborateurs. Seule condition : « il faut que cela soit un Faust ».
© Frieder Aurin
Réécriture moderne du célèbre mythe, cette pièce de théâtre musical repose sur un concept d’une grande originalité : le public peut, à différents moments de la représentation, influencer l’action en cours et ainsi décider de la fin de l’histoire. Outre l’aspect ludique de créer une œuvre interactive, l’idée est particulièrement intéressante dans le cadre d’une réécriture de Faust : l’auditoire se trouve face aux mêmes possibilités que ce personnage. Puisqu’il est possible de tout faire advenir sur scène, que voudrons-nous voir ? Sauverons-nous Henri (figure de Faust), ou le ferons-nous damner ? Choisirons-nous son amour idyllique ou le sacrifice du créateur pour son oeuvre ? Entre le désir de drame et la conscience morale, quel rôle donnerons-nous à cet art du spectacle vivant ?
Si une telle idée, audacieuse et pleine d’un potentiel incroyable, fait indubitablement rêver, force est de constater que sa réalisation se heurte ici à de trop nombreuses difficultés. Après un premier acte qui, déjà, traîne en longueur, la nécessité d’encadrer le public lors des parties variables freine encore considérablement la progression du récit, et l’organisation prend finalement plus de temps que l’histoire elle-même. De plus, bien que la logique de décision soit très bien conçue, la méthode de « vote », quant à elle, est pour le moins pénible : on aurait apprécié une alternative plus calme à la compétition sonore entre la scène et la salle, d’autant plus que ce système empêche naturellement le public hurlant d’entendre une partie du texte. En termes d’interactions, on aura préféré de loin ce délicieux entracte ou le public, convié à la fête foraine qui prend place sur scène, boit de la soupe en pariant sur l’issue du spectacle ou discute avec certains personnages.
Heureusement, les comédiens, assumant pleinement le risque de jouer un spectacle variable, se montrent très sympathiques et parviennent à créer un rassemblement bien réel dans la salle. Ainsi, même si le récit et les personnages sont somme toute assez creux (conséquence de dialogues courts et peu recherchés), on ne s’ennuie pas une minute. En particulier, Vincent Schmitt est absolument admirable dans le rôle du directeur-Méphistophélès, le seul à être vraiment consistant. Chacune de ses interventions redonne du rythme à la représentation et relance le récit. Présence troublante, à la fois agréable et inquiétante, il semble que la musique de l’orchestre suive ses pas et n’obéisse qu’à lui.
En effet, les partis pris de la direction musicale sont étranges, mais semblent faire sens vis-à-vis de ce seul personnage. Divisés en quatre groupes, les musiciens et chanteurs interprètent des extraits de plusieurs opéras, mais l’écho entre les œuvres et les dialogues en cours ressortent peu, d’autant plus que l’acoustique de la salle n’est pas adaptée. Ces arrangements musicaux volontairement troubles et dissonants s’accordent aux passages sombres du récit, mais finissent par être redondants et finalement peu cohérents lorsque les scènes empruntent un chemin positif.
En outre, l’aspect très factice, très « jeu » du spectacle, renforcé par la scénographie morcelée qui n’exploite le plateau que par petites parties désorganisées, dessert le propos en empêchant le spectateur de s’attacher aux personnages dont il doit décider du sort. Revendiquer l’artifice est un parti pris assumé, mais auquel on n’adhère pas au regard des questionnements que soulève l’exercice de ce genre variable. Pour s’interroger véritablement, il faudrait déjà se sentir concerné par ce qui advient…
En définitive, c’est une sensation frustrante de chaos sympathique qui ressort de la représentation.
Malgré un énorme potentiel, ce foisonnement évident d’idées n’est pas assez maîtrisé pour offrir un résultat cohérent et artistiquement efficace. C’est dommage, car un tel projet affichait une immense ambition et semblait très prometteur. Quoiqu’il en soit, ce type de théâtre variable et interactif mériterait d’être connu et bien plus vastement pratiqué, car il peut offrir des perspectives passionnantes.
Votre Faust
texte Michel Butor
musique Henri Pousseur
mise en scène Aliénor Dauchez
avec Éléonore Briganti, Antoine Sarrazin, Vincent Schmitt, Laëtitia Spigarelli, Pierre-Benoist Varoclier
les chanteurs du Vocalconsort – Friedemann Büttner, Kai-Uwe Fahnert, Angela Postweiler, Natalia Pschenitschnikova
les musiciens de l’ensemble TM+ – Dorothée Nodé-Langlois, David Simpson, Clémence Sarda, Anne-Cécile Cuniot, Mathieu Steffanus, Eric du Faÿ, Yannick Mariller, Vincent David, André Feydy, Julien Le Pape, Anne Ricquebourg, Gianny Pizzolato
direction musicale Laurent Cuniot, TM+
scénographie Aliénor Dauchez, Michael E. Kleine
chef de chants Kai-Uwe Fahnert, Vocalconsort
dramaturgie Marion Coste
collaboration artistique et assistanat Thomas Pondevie, Lisa Fütterer, Valérian Guillaume
costumes Michael E. Kleine
lumières Jörg Bittner
son Yann Bouloiseau
construction décors Jörg Schildbach
régie générale Alain Deroo
régies plateau, orchestre, son Benjamin Dieleman
direction de production Jérôme Broggini
du 17 au 19 novembre
Nouveau Théâtre de Montreuil
10 place Jean Jaurès
93100 Montreuil
http://www.nouveau-theatre-montreuil.com/fr/infos-pratiques