Article de Pierre-Alexandre Culo
Une soirée avec le diable
Condensé d’un texte monumental et d’un opéra pop-festif-décadent, entre les mains endiablées de Robert Wilson, ce nouveau pacte entre le Théâtre de la Ville et la troupe du Berliner-Ensemble est à la hauteur de ces merveilles, Opéra de quat’sous et autres Peter Pan, qui marquent l’histoire de leurs précédentes collaborations.
© Lucie Jansch
La liste foisonnante des créations de Robert Wilson est marquée par la récurrence de la figure emblématique de Faust mais s’attaque pour la première fois à l’œuvre originale. Ce chemin qui le conduira aux vers de Goethe, traverse les dernières années de sa carrière, débutant en 1989 par l’opéra de Giacomo Manzoni Doctor Faustus, le menant à l’électrisant Black Rider en collaboration avec Tom Waits ou encore Doctor Faustus lights the lights de Gertrud Stein et Hans Peter Kuhn. Ces nombreuses adaptations ont rendu cette figure finale extrêmement riche, énergique et dionysiaque. Le diable était au bout du chemin. Lui vendant son âme, Faust passe d’une forme quadruplée dans la première partie puis jouée par le seul Fabien Stromberger. Faust et Méphisto fusionnent dans un duo de frères siamois à la conquête de cette Hélène antique, de cet « Eternel Féminin » sur lequel se closent les quatre heures d’enchantement.
Les portes du théâtre du Châtelet s’ouvrent et dès lors la musique d’Herbert Grönemeyer retentit et toute la troupe s’excite dans une parade joyeuse, danse ou échauffement, tous les personnages de ce Faust Wilsonnien se présentent et s’exhibent. Machinerie à nue, la chanson de cette troupe foraine se répète ce refrain pendant toute l’installation du public :
© Lucie Jansch
« Ainsi n’épargnez aujourd’hui ni toiles, ni châssis, ni machines. Faites tomber du ciel le plein feu, la pénombre. Quant aux étoiles, sans lésiner, soyez prodigue. (…) À l’étroit entre les planches de cette baraque, parcourez le vaste cercle de la création. Allez, marchez d’un pas rapide et mesuré. Allez du Ciel au Monde et du Monde à l’Enfer. »
La musique d’Herbert Grönemeyer est à multiples visages, un patchwork musical où s’imbriquent une pop kitsch et colorée, la démesure de Broadway ainsi que des numéros surprenants de folk, rock et flamenco. Le tout entraîne et déploie ce bal satanique, incroyablement mené par Christopher Nell.
L’esthétique wilsonienne est au rendez-vous, minimalisme et rigueur architecturale qui créent des images stupéfiantes. Cependant le maître américain du théâtre de l’image semble innover en projetant, à la place de son traditionnel cyclorama, des animaux qui chargent et que les comédiens accompagnent dans leurs marches.
Un moment de suspension où se côtoient force, grâce et danger. À l’image de ce Faust flamboyant sculpté dans la glace de Robert Wilson.
Faust I&II
adaptation Jutta Ferbers
direction, mise en scène, lumières Robert Wilson
musique & chansons Herbert Grönemeyer
costumes Jacques Reynaud
dramaturgie Jutta Ferbers, Anika Bárdos
direction musicale Hans-Jörn Brandenburg, Stefan Rager
lumières Ulrich Eh
projections vidéo Tomek Jeziorski
avec
Krista Birkner,
Christina Drechsler, Claudia Graue, Friederike Maria Nöltig, Marina Senckel, Gaia Vogel, Anna von Haebler, Raphael Dwinger, Winfried Goos, Anatol Käbisch, Hannes Lindenblatt, Matthias Mosbach, Christopher Nell, Luca Schaub, Sven Scheele
Felix Strobel, Fabian Stromberger, Felix Tittel (voix Stefan Kurt, Angela Winkler)
& les musiciens
Stefan Rager percussions, ordinateur,
Hans-Jörn Brandenburg piano électronique, ordinateur,
Joe Bauer sons, bruits,
Michael Haves synthétiseur, basse, guitare,
Ilzoo Park violon,
Sophiemarie Yeungchie Won violon,
Min Gwan Kim alto,
Hoon Sun Chae violoncelle
Du 23 au 29 septembre 2016
Théâtre du Châtelet
1 place du Châtelet
75001 Paris
http://www.theatredelaville-paris.com/