[Festival Paris l’été] « MON GRAND AMOUR » L’intime exalte une humanité à fleur de peau

Mon Grand Amour © Jean-Louis Fernandez

Depuis 30 ans, le Festival Paris l’été proposé par Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel est l’occasion de voir des artistes confirmés et de jeunes compagnies dans des lieux insolites et en extérieur, des moments d’évasion à partager . Pour cette édition 2019, toute l’équipe du festival a œuvré à la préparation, à l’accueil et à l’accompagnement du public et des artistes. Des bénévoles ont participé à Installation de feu de la Compagnie Carabosse, deux soirées exceptionnelles à La Villette. Pendant ces 3 semaines, une programmation riche et éclectique à découvrir avec plus de 200 artistes, 24 événements dans 31 lieux au coeur de la capitale et en Île-de-France. C’est dans un appartement du 13ème arrondissement, dans un immeuble désaffecté géré par Paris Habitat, que le public assiste à Mon Grand Amour. Ce lieu réaménagé est un entre-deux propice et commun aux trois histoires qui se déroulent au même moment dans trois villes différentes. Valence, Melun et Paris, ce dernier récit nous inscrivant dans la temporalité de l’instant présent. Dans cet espace intime, le public est le témoin des bouleversements intérieurs et des blessures de l’être face aux situations de la vie : de l’amour excessif du travail, de la rupture d’un couple ou l’absence de l’être aimé. Avec une analyse et une écriture fine, un jeu exigeant, l’auteure et metteuse en scène Caroline Guiela Nguyen met en exergue les états de l’être face aux émotions qui le submergent et saisit immanquablement l’auditoire car rien n’est laissé au hasard dans cette proposition.

Ce logement aux murs blancs et au décor défraîchi et sommaire (composé d’une table centrale, un téléphone, deux chaises, sur le côté un placard, au fond un meuble où est posée une télévision, un bouquet de fleurs, rideaux tirés et volets entrouverts) est un théâtre du quotidien à l’esthétique filmique. Un huis clos où le public installé dans le salon aux cloisons abattues, peut ainsi observer de tout près les personnages, leurs visages et leurs déplacements dans les différentes pièces. Usés par la vie, ils arrivent à saturation en atteignant leur propre limite, plongeant alors dans une situation inattendue. Ainsi Gaël, le policier qui a consacré sa vie au travail se retrouve mis à pied suite à une erreur sur le terrain. Seul à son domicile, l’homme nous dévoile peu à peu son histoire (échanges téléphoniques, tenue de service, écran télévision…). Il essaie par tous les moyens d’établir le lien avec ses collègues, de trouver des prétextes pour retourner au commissariat qui est tout pour lui. Il perd le contrôle. Quelque chose est en train de se passer là sous nos yeux et nous en sommes les témoins privilégiés. Des blessures de l’âme au renoncement de l’être, des sentiments profonds qui interpellent notre humanité. Le comédien Alexandre Michel est très juste dans cette interprétation où les silences sont tout aussi importants. La transition s’effectue tout naturellement : les protagonistes assurent les déplacements ou apportent d’autres éléments au décor. Le rythme se maintient et les tensions sont palpables.

Amour_(c)Jean-Louis Fernandez
Amour3 (c)Jean-Louis Fernandez

Alexandre Michel dans Mon Grand Amour © Jean-Louis Fernandez

Tout en retenue, nous découvrons une femme décidée à mettre fin à son couple, un passage difficile qui pousse l’homme dans un dernier élan à exprimer ses sentiments malgré la fin inéluctable. De ce qui est encore de la vie à deux, à ce qui va bientôt advenir, un passage délicat pour chacun, pour celui qui veut encore croire à un retour possible et aussi pour la famille et l’entourage. L’appel de la vieille tante en vietnamien, bouleversant, vient rappeler le chemin parcouru… le bonheur ça se mérite ! Ne pas se laisser abattre, la future-ex témoigne son affection et fait d’ultimes recommandations à celui qu’elle s’apprête à quitter. Le duo Luc Bataïni et Madeline James est extrêmement touchant de sincérité. La comédienne qui joue dans Saigon, pièce à succès (plus de 70 000 spectateurs!) de Caroline Guiela Nguyen est lumineuse dans le rôle de Françoise. Pour finir, nous retrouvons Habib Azaouzi pour un poignant moment : la solitude d’un vieil homme face à l’absence de sa femme qu’il ne parvient pas à oublier. Là encore le contact extérieur et l’appel de la famille égayent son quotidien mais n’altèrent pas l’immensité de la douleur causée par la disparition de l’être aimé. Le comédien amateur est bien à la hauteur. On se surprend à vouloir encore prolonger ce moment dont la force est remarquable.

La metteuse en scène Caroline Guiela Nguyen a initié ce projet en 2016 avant sa création Saigon. Une écriture au plateau avec trois fictions qui se passent en temps réel, dans un même espace et symboliquement au même moment comme le matérialise l’écran de télévision. Un livre ouvert où les personnages se confient et c’est tout l’art des comédiens qui se révèle. Pas de fausse note, la création sonore d’Antoine Richard épouse parfaitement la dramaturgie forte de ces scènes de vie. La scénographie nous plonge dans un réalisme puissant avec un souci de l’esthétique souligné par de belles lumières. La talentueuse Caroline Guiela Nguyen est aussi réalisatrice, elle soigne les détails, les plans et crée une atmosphère particulière. À travers cette radioscopie des individus issus de différents milieux et cultures, s’exprimant en plusieurs langues, on saisit l’universalité du propos. Une belle création de la compagnie Les Hommes Approximatifs qui réunit comédiens professionnels et amateurs, un public dans une même unité de lieu et de temps. Une humanité émouvante !
Comme à son habitude, le Festival Paris l’été propose des rencontres avec les artistes, vous pourrez retrouver Caroline Guiela Nguyen le vendredi 2 août à 18h au Lycée Jacques Decour à Paris. Nous lui souhaitons beaucoup de succès pour ses créations à venir avec entre autre un nouveau cycle de recherches Fraternité, contes fantastiques.

Informations pratiques

MON GRAND AMOUR – Cie Les Hommes Approximatifs
Festival Paris l’Été du 12 juillet au 3 août 2019
Au programme 24 événememts dans des lieux insolites et en extérieur
à Paris et en Île-de-France

Auteur(s)
Caroline Guiela Nguyen et l’équipe artistique

Mise en scène, scénographie, lumières
Caroline Guiela Nguyen

Avec
Luc Bataïni, Madeline James, Alexandre Michel ou Dan Artus et Habib Azaouzi

Création sonore Antoine Richard
Conseil dramaturgique Jérémie Scheidler
Costumes Dominique Fournier
Assistance à la mise en scène Pauline Dubreuil
Assistance à la scénographie Heidi Folliet
Régie son Loïc Leroux

Durée
1h

Dates
Du 16 juillet au 3 août 2019
Du mardi au dimanche à 18h et 20h, les mercredis à 16h, 18h et 20h

Rencontre avec Caroline Guiela Nguyen vendredi 2 août à 18h – Lycée Jacques Decour

Adresse
Théâtre en appartement
Rue de Tolbiac
75013 Paris

Informations complémentaires
Festival Paris l’été
www.parislete.fr

Compagnie Les Hommes Approximatifs
www.leshommesapproximatifs.com/