« LES FILS PRODIGUES »  De l’amour de la mer à la haine du père : le retour houleux du fils ou l’impossible transmission la corde au cou ! 

Depuis 1978, le Théâtre du Maillon s’est imposé dans le paysage culturel strasbourgeois par sa programmation exigeante, contemporaine et pluridisciplinaire et sa volonté de décentralisation d’une offre artistique toujours croissante. Ainsi à l’aube du troisième millénaire, la scène nationale s’installe à deux pas du Parlement Européen, attirant un large public et des créations d’artistes régionaux, nationaux et internationaux. La nouvelle directrice et dramaturge allemande, Barbara Engelhardt poursuit le rayonnement européen du lieu et le soutien à de nouvelles formes avec cette saison deux artistes majeurs de la scène contemporaine : Gisèle Vienne et Jean-Yves Ruf. Accueilli en résidence, le metteur en scène Jean-Yves Ruf présente du 17 au 19 janvier un dyptique, « Les fils prodigues » constitué de deux pièces courtes, intenses sur les relations violentes entre père et fils et l’échec de la transmission : « Plus qu’un jour » de Joseph Conrad et « La corde » d’Eugène O’Neill. Ces poètes marins ont vécu une expérience inoubliable et laissent dans ces œuvres de remarquables récits aux nombreux points communs, traduits avec finesse et modernité par Françoise Morvan. Lors de son départ, le fils prodigue met en cause sa filiation et son retour inopiné alors qu’on le croyait disparu, ébranle le giron familial. De la déception du père à la rébellion du fils face à une succession non désirée (la ferme), la transmission est impossible. Là où l’amour est absent, seul l’argent semble assurer quelque espoir, vers un nouveau départ. Une pièce à l’atmosphère pesante avec la mer en toile de fond, dans une mise en scène épurée qui fait ressortir les tensions et l’inévitable tragédie familiale.

Joseph Conrad a très peu écrit pour le théâtre et cette pièce méconnue adaptée de sa nouvelle « Tomorrow » est un véritable bijou. Des sentiments profonds et contenus à l’épreuve du temps, nourris de rêves et d’illusions de l’être absent, les personnages face à la réalité ne peuvent l’affronter. Les parents projettent tous les espoirs sur l’enfant sacralisé à l’image de Bessie Carvil (Conrad) qui obéit à toutes les exigeances de son père Josué, aveugle et tyrannique, alors que son propriétaire et voisin, le capitaine Hagberd la voit déjà comme belle-fille, la condamnant ainsi à une vie terne et recluse. Qu’advient-il quand la jeune femme rencontre le fameux Harry parti depuis seize ans, après une brouille avec son paternel ? Le jeune marin épris de liberté s’est émancipé et père et fils sont restés sur leurs positions provoquant le repli du vieux Hagberd qui se sentant abandonné, accumule les objets en préparant son retour qu’il voit au lendemain. Si le capitaine Hagberd (Conrad) rêve de marier son fils Harry, il ne le reconnaît plus à son arrivée et s’apprête à lui tirer dessus, Abraham Bentley (O’Neill) a lui fomenté sa vengeance contre le fils qui l’a volé et veut lui passer la corde au cou ! Les deux paraboles en miroir désacralisent l’image du père, de la relation père-fils. La violence est à son paroxysme, sans pardon ni espérance, ni même transmission possible bien loin de la parabole biblique.

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© Rodolphe Gonzalez

Cette nouvelle création aborde les relations conflictuelles entre les parents et les enfants, qui s’enveniment avec le temps sans laisser aucun espoir de réconciliation, ni de transmission. Une scénographie aux éléments bruts et modulables (bois, mer, images vidéos) tout comme les comédiens fascinants dans leur jeu aux multiples facettes. Le thème de la mer est omniprésent dans le décor et l’atmosphère : petits cabanons de pêcheurs (Conrad) et menuiserie (O’Neill), bruits de la mer calme ou déchaînée. La vidéo projetée sur le fond ouvre des parenthèses, crée des harmonies, revient sur le passé et les sentiments que traversent les personnages. Fred Ulysse et Jérôme Derre incarnent à merveille des patriarches acariâtres et dérangés. Face à eux, Vincent Mourlon est le fils prodigue idéalisé par le capitaine Hagberd (Conrad) ou profondément haï par Abraham Bentley qui l’attend avec une corde suspendue (O’Neill). La lumineuse Johanna Hess est la fille spirituelle et dévouée au père aveugle (Conrad) ou besogneuse et intéressée par l’héritage familiale (O’Neill). Après tant d’années, le retour inattendu du fils bouleverse l’équilibre familial et accélère l’issue tragique. Un regard sans fard sur la famille et la nature humaine, ce spectacle fort et émouvant interroge les valeurs de la transmission entre générations aujourd’hui. L’argent semble être la seule valeur concrète et transmissible.

 

Informations pratiques

Auteur(s)
Plus qu’un jour, de Joseph Conrad
et
La corde, de Eugene O’Neill

Mise en scène
Jean-Yves Ruf

Avec
Jérôme Derre, Fred Ulysse, Vincent Mourlon, Djamel Belghazi, Johanna Hess

Dates
Du 17 au 19 janvier 2018 

Durée
2h30

Adresse
Maillon, Théâtre de Strasbourg – Scène européenne
7 place Adrien Zeller
67000 Strasbourg

Informations et dates de tournée
https://www.maillon.eu/