« LA FLÛTE ENCHANTÉE » Un royaume de l’imaginaire en deux dimensions 

Créée en 2012 par Barrie Kosky et le Collectif 1927 à la Komische Oper Berlin, l’étonnante création revisitée de l’ultime oeuvre de Mozart fait escale à l’Opéra-Comique. Conçue comme un hommage flamboyant aux débuts du cinéma et des films d’animation, elle nous entraîne dans un monde haut en couleurs à l’imaginaire foisonnant : une vision ambitieuse, qui a de quoi ravir le plus vaste public.

C’est une idée étrange que celle de se rendre à l’opéra pour se retrouver d’emblée face à… un écran blanc muni de quelques panneaux pivotants, sans nul autre décor. Et pourtant ! Dès les premières minutes, on se laisse happer par cet univers restreint à deux dimensions mais qui, paradoxalement, offre tous les possibles : les quelques milliers d’images de la représentation, réalisées par Paul Barritt, créent un royaume fantaisiste, à l’esthétique marquée, où les considérations scénographiques vis-à-vis d’une telle oeuvre – qui multiplie les occurences surnaturelles – se trouvent entièrement libérées des limites techniques du plateau. Assurément, le Collectif 1927 a trouvé dans l’animation le médium idéal pour mettre en avant la féérie inhérente à cet opéra. Loin d’être une facilité, elle exige au contraire de la part des chanteurs une précision extrême, puisqu’ils doivent se positionner dans les projections au bon moment : et tous y parviennent avec, semble-t-il, une aisance tranquille.

Avec sa pléthore d’inspirations artistiques, cette Flûte Enchantée a des parfums d’enfance oniriques, mêlés d’humour et de tendresse. On y passe du noir et blanc de cinéma muet des années 20 (auquel, outre le style pantomimique exubérant, la mise en scène emprunte les dialogues en intertitres sur fond de piano forte) à celui, plus macabre, de Tim Burton ; on y retrouve des éclats de couleurs psychédéliques à la Yellow Submarine, quelques touches de peinture, de BD, de music-hall ou de street art, on se souvient avec bonheur des premiers dessins animés de Mickey ou des personnages de Fantasia ; parfois, comme dans un flash, quelque chose rappelle Tintin, Princes et Princesses, ou même Anna Anaconda… Tous ces univers se mélangent avec une cohérence surprenante, sans qu’on puisse dire tout à fait ce qui évoque chacun d’eux. Ici, le cheminement initiatique de Tamino et Pamina s’efface au profit d’une réflexion sur l’amour et la solitude, et face à la puissance visuelle de la représentation qui, dans son fourmillement de détails à la fois décalés et poétiques, parvient à ne jamais être lassante – pourtant, deux heures quarante de projections étaient un pari risqué.

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KOB_Zauberfloete_0370 DR Iko Freese drama-berlin.de MD
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© Iko Freese

Par ailleurs, on ne peut que saluer la manière dont les chanteurs se prêtent au jeu, tenant leur chorégraphie comme s’ils étaient eux aussi dans l’animation, quitte à chanter en l’air, collés au mur, sur une minuscule plateforme.

Si Tansel Akzybek incarne un Tamino relativement lisse, avec une voix parfois appuyée, il forme un duo amical très séduisant et drôle avec Dominik Köninger en Papageno, émouvant par la douceur de son timbre et la candeur grave de son personnage aux allures de Buster Keaton. En acteurs de cinéma muet, ils excellent !

Avec eux, Johannes Dunz est un Monostatos discret mais plaisant, aux allures du Nosferatu de Murnau ou d’un Mephistophélès revu par Robert Wilson, tandis que son maître Sarastro, incarné par Wenwei Zhang, est tout simplement éclatant : avec ses airs de Georges Méliès au milieu d’animaux mécaniques exotiques et autres machines intelligentes, le sage semble l’héritier direct des Frères Lumière autant que des philosophes, et l’image même du progrès ; la voix puissante et chaude de l’interprète soutient à merveille la carrure de son personnage. Mentionnons aussi les trois dames pleines de panache et d’énergie que sont Nina Bernsteiner, Gemma Coma-Alabert et Nadine Weissman, un trio de choc. Enfin, Christina Poulisti, en Reine de la Nuit sous les traits d’une araignée-squelette, ravit par la clarté de sa voix de coloratura et la netteté de ses attaques, même si l’on ne peut s’empêcher de déplorer un (très) léger manque de hargne dans son interprétation du fameux air, qui ne suit pas tout à fait la violence de l’animation.

Enfin, Vera Lötte-Bocker est sans doute l’étoile de la représentation : sa présence, en Tamina-Louise Brooks, est incandescente, la puissance de sa voix claire, voire cristalline, et l’émotion que sa maîtrise lui permet d’insuffler à son chant remportent, à coup sûr, l’adhésion du public.

Ainsi, davantage que « beau et drôle », on aurait envie de dire du spectacle qu’il est « joli et rigolo » – pas pour en diminuer les qualités, mais peut-être plutôt pour teinter cette appréciation d’un air plus affectueux et juvénile qu’à l’habitude. Car c’est bien un sentiment chaleureux de douceur et de sérénité qui subsiste après la représentation, et donne envie de se replonger dans tous ces classiques qui nous accompagnent sans cesse. On aimerait prolonger le voyage…

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© Iko Freese

 

Informations pratiques

Auteur(s)
de Wolfgang Amadeus Mozart
sur un livret d’Emanuel Schiknaeder

Mise en scène
Susanne Andrade, Barrie Kosky
Conception: Collectif 1927 (Suzanne Andrade et Paul Barritt), Barrie Kosky
Direction musicale : Kevin John Edusei

Avec
Vera-Lotte Böcker (6, 8, 11, 13 nov.) / Kim-Lillian Strebel (7, 9, 12, 14 nov.)
Tansel Akzeybek (6, 8, 11, 13 nov.) / Adrian Strooper (7, 9, 12, 14 nov.)
Christina Poulitsi (6, 8, 11, 13 nov.) /Olga Pudova (7, 9, 12, 14 nov.)
Wenwei Zhang (6, 8, 11, 13 nov.) / Andreas Bauer (7, 9, 12, 14 nov.)
Dominik Köninger (6, 8, 11, 13 nov.) / Richard Sveda (7, 9, 12, 14 nov.)
Martha Eason
Johannes Dunz (6, 7, 8 nov.) / Ivan Tursic (9, 11, 12, 13, 14 nov.)
Nina Bernsteiner (6, 8, 11, 13 nov.) / Inga-Britt Andersson (7, 9, 12, 14 nov.)
Gemma Coma-Alabert (6, 8, 11, 13 nov.) / Katarzyna Wlodarczyk (7, 9, 12, 14 nov.)
Nadine Weissmann (6, 8, 11, 13 nov.) / Karolina Sikora (7, 9, 12, 14 nov.)
Timothy Richards
Philipp Meierhöfer (6, 8, 11, 13 nov.) / Alexej Botnarcius (7, 9, 12, 14 nov.)
Tölzer Knabenchor


Choeur Arnold Schoenberg Chor


Orchestre Orchester Komische Oper Berlin

Dates
Du 6 au 14 novembre 2017

Durée
2h40 (entracte compris)

Adresse
Opéra Comique
1 place Boieldieu
75002 Paris


Informations et dates de tournée 

http://www.opera-comique.com