Article de Marianne Guernet-Mouton
Ode à la banalité
Créé en 2010, Grammaire des Mammifères, mis en scène par Thierry Bordereau, est actuellement repris au Théâtre l’Échangeur à Bagnolet pour quelques dates. Les six comédiens qui entrent sur scène, comme sortis du public, jurent de connaître le texte de William Pellier sur le bout des doigts. Tous jurent devant nous de ne pas trahir l’œuvre et nous racontent comment ils ont connu le texte. Dès le départ les grammairiens – trois femmes, trois hommes – nous embarquent dans une épopée loufoque imprévisible, pourtant bien en phase avec l’actualité.
© Delphine Simon-Baillaud
Un tapis de gazon, une peau de vache, un frigo, une tête de cochon, des fauteuils en cuir et des banquettes : tel est le décor annonciateur d’une pièce pleine de surprises. C’est dans cette ambiance que les six comédiens se rencontrent pour ce qui semble être un séminaire où questions pratiques, spirituelles et sujets d’actualité vont être successivement évoqués en passant du coq à l’âne avec beaucoup d’humour. En guise de long préambule, un des personnages se détache du groupe et face à nous, semble improviser une séance d’hypnose parfaitement maîtrisée qui nous captive, nous détend et nous inquiète tout à la fois. En effet, la voix calme du comédien nous emmène dans une porcherie, à la rencontre de notre souffle, de nos sensations, et… de notre sexe. Tout au long de la pièce, les transitions sont abruptes et souvent sources de fous rire car pour les six personnages loufoques de cette histoire aux airs décousus, les enchaînements de situations sont toujours logiques. De grands discours de spécialistes aux petites saynètes en duo, il est question du couple, de ce qui fait étape pour devenir un couple. Puis du couple et du regard d’autrui, le groupe s’interroge avec nous sur l’Histoire, car est-elle contenue dans la langue ou dans l’oreille ?
Tous cherchent à répondre à leurs questions incessantes sans jamais vraiment proposer de solutions. Ils sont là pour en apprendre sur l’homme, sur nous, sur notre rapport à l’image et notamment au fait divers. Ils explorent la sexualité sans détour et créent des tableaux esthétiques piquants de drôleries. Parfois, des scènes entières sont silencieuses et seule la pantomime délirante des acteurs nous raconte quelque chose sur nous. Car la seule certitude de ce groupe de grammairiens déjantés, c’est que notre vie est toujours, quoi que l’on fasse, la caricature de la vie de quelqu’un d’autre. Englués comme nous le sommes dans la banalité, les personnages sont bien déterminés à trouver des idées pour nous distinguer, ou tout simplement, arrêter de vouloir en trouver, et saluer le simple fait que nous soyons là, en train de réfléchir avec eux. Alors que le spectacle est très dense et ne laisse pas de répit, quelques instants nous marquent, comme le long monologue d’un personnage invité sur un plateau de télévision pour parler de ses rêves « d’homme neuf » à la vie banale et aux rêves tout aussi ordinaires, tellement poussé dans ses retranchements par le présentateur que crescendo, il crache des rêves au kilomètre, laissant le spectateur circonspect.
Depuis le texte difficile et loufoque de William Pellier, émerge un éventail infini de potentialités pour se jouer de l’existence des hommes, trop souvent ensemble par opportunisme selon l’auteur. Grâce à des comédiens survoltés, on a le sentiment que la quête des personnages pourrait durer toute la nuit, et hypnotisés comme nous sommes dès le départ, la seule chose qui nous vient à l’esprit, c’est de les suivre !
Grammaire des Mammifères
De William Pellier, mise en scène Thierry Bordereau
Scénographie, Philippe Sommerhalter
Avec Réjane Bajard, Marijke Bedleem, Sophie Barboyon, Pierre Germain, Christian Pageault, Thierry Vannesson
Du 26 au 30 novembre 2016
Théâtre L’Échangeur
59, avenue du Général de Gaulle
93170 Bagnolet