« GUERRE ET TÉRÉBENTHINE » Petites et grandes Histoires. Les mémoires sensibles de Jan Lauwers

La MC93 place l’artiste belge Jan Lauwers sous les projecteurs avec deux pièces programmées en une semaine, une très belle occasion de découvrir le travail de cet artiste unique. En plus de sa pièce phare créée en 2014, La Chambre d’Isabella, il présente sa toute dernière création, une adaptation remarquable du roman Guerre et Térébenthine de Stefan Hertmans. Plus qu’une adaptation, Jan Lauwers décuple l’énergie de cette écriture. Il restitue fidèlement la force du roman mais, avec une richesse et une créativité scénique bluffante, il ressuscite la mémoire et les fantômes cachés entre les lignes. Un regard personnel et enivrant sur une oeuvre où s’embrasent l’amour et la violence.

Stefan Hertmans découvre les cahiers de son grand-père, parcourt les centaines de pages d’une vie qu’il entreprendra de narrer dans, ce qui se révèlera plus tard, le roman iconique de son oeuvre. À l’aube du XXème siècle, Urbain Martens traverse une vie où existence et violence font bien plus que rimer. Une enfance dans la pauvreté, l’expérience de la Grande Guerre, une histoire d’amour brisée par la maladie. Des épisodes noirs qu’il fige dans son exercice passionné de la peinture. Les violences sociales et politiques semblent comme s’effacer, ou s’atténuer, face à la violence de l’amour où le bonheur qui y réside est infini. Comment ne pas s’effondrer face à ces mots de Stefan Hertmans ? « Certaines personnes ne vivent jamais assez longtemps pour surmonter le choc de l’amour, même lorsqu’elles atteignent presque cent ans. » Tout est dit.

Cette histoire, ce n’est pas Urbain qui va la raconter. Lui se tient dans son atelier et dessinera silencieusement tout au long de la pièce. Comme un oeil discret, les caméras dévoilent cette sensibilité en constante création. Interprétée par Viviane de Muynck, sa dernière femme prendra le rôle de la narratrice de sa vie, comme un dernier geste de mémoire et d’amour. Son interprétation est stupéfiante. Chaque mot prononcé est réfléchi, décortiqué, dans le processus vivant de la mémoire. La grande humilité face au texte de Stefan Hertmans alterne avec des trouvailles d’interprétation plus anecdotiques mais qui permettent de conserver sans relâche l’attention du spectateur.

Térébenthine_Maartenvandenabeele

© Maarten Vanden Abeele

Autour d’elle se joue toute la folie créatrice de Jan Lauwers. Toutes les disciplines artistiques sont convoquées et permettent un envol de notre perception bien plus loin que l’histoire particulière d’Urbain Martens. L’artiste belge nous invite à une exploration sensible de ce siècle. La création d’une marionnette géante au visage de madone, volant dans les airs, poétise la montée de l’industrialisation. Des immenses plaques en bois, sonorisées, s’entrechoquent dans un raffut chaotique et guerrier. Ces nombreux procédés plastiques ou chorégraphiés peuvent couvrir la voix de la narratrice, mais cette histoire parallèle et complémentaire renforce considérablement l’ensemble. Plusieurs strates de compréhension et de réalités se superposent, se croisent ou divergent, créant ainsi une mise en scène riche et singulière. Une réussite à ne pas manquer !

Informations pratiques

Auteur(s)
D’après le roman Guerre et Térébenthine de Stefan Hertmans, paru chez Gallimard

Mise en scène, scénographie et adaptation théâtrale
Jan Lauwers

Avec
Viviane De Muynck, Benoît Gob, Grace Ellen Barkey, Sarah Lutz, Romy Louise Lauwers, Elik Niv, Maarten Seghers, Mohamed Toukabri, Alain Franco, Simon Lenski, George van Dam
Musique Rombout Willems

Dates
9 et 10 avril 2019

Durée
2h

Adresse
MC93
9, boulevard Lénine
93000 Bobigny

Informations complémentaires
https://www.mc93.com