Hamelin de Juan Mayorga – traduction Yves Lebeau – paru aux Solitaires Intempestifs (collection La Mousson d’été)
Juan Mayorga propose un théâtre exigeant parce que très minimaliste qui se passe de toute scénographie voire de toute mise en scène. Ce qui l’intéresse, c’est de questionner le spectateur en posant un problème de société sans vraiment le résoudre, afin que chacun entre dans le débat en laissant derrière lui a priori et jugements à l’emporte-pièce. Ayant étudié à Madrid, à Paris et à Berlin, ce dramaturge connaît bien la culture européenne et ses références. Hamelin, c’est évidemment cette ville qui eut recours à un joueur de flûte pour la débarrasser de ses rats et dont la cupidité fut gravement châtiée. Un conte cruel, puisqu’il sacrifie les enfants sur l’autel de la morale.
Et c’est bien d’enfants qu’il s’agit ici. D’enfants et de leur rapport avec les adultes : des Parents défaillants, impécunieux, lâches qui, ne réussissent pas à donner à leurs enfants ce à quoi ils ont droit ; des bienfaiteurs débordant de tendresse pour ces mêmes enfants et généreux envers les parents miséreux ; des enfants enfin, sensibles à l’attention qu’on leur porte, dociles et jaloux à la fois, innocents et coupables peut-être.
Pablo Rivas, dit Pablito, parcourt le dimanche matin, ce qui semble être un quartier défavorisé en proposant d’emmener les enfants à la messe. Puis il offre le repas, une sortie à la mer ou au cinéma, les fait dormir « au pavillon » qui appartient à sa mère et où il accueille aussi des amis hommes. Ça pue la pédophilie et c’est ce que subodore Montero, un policier, sans doute, qui interroge les uns et les autres et cherche à comprendre s’il s’agit ou non d’un trafic d’enfants. Photos compromettantes, mais finalement banales, cadeaux onéreux aux enfants, à Benjamin, surtout qui occupe désormais la place qui était celle de son frère aîné Franck ; aide financière aux parents dans la dèche, afin qu’ils paient leurs factures, se fassent soigner et nourrissent leur nombreuse progéniture. Tout accable Pablo. Mais on découvre aussi que Franck est jaloux de son petit frère, que ce dernier est incapable de dire exactement ce qu’il en est de sa relation avec Pablo, que le père défaillant est aimé de son fils à qui il a appris le dessin et surtout, on voit, comme dans le conte allemand, les adultes responsables qui trahissent leur parole : « Vous allez me mettre dans un centre ? » demande Benjamin. Montero assure que non, mais enlève l’enfant à sa famille, à son père surtout, pour le protéger. Benjamin, privé de tout repère, y sera-t-il plus heureux ?
Et puis, ce Montero qui entend protéger des enfants est lui-même absent pour son fils Charles, lequel a des problèmes dans son collège et ne trouve aucun appui auprès de son père.
Et puis ces parents, soupçonnés de complicité par cupidité s’avèrent très scrupuleux en fin de compte ; et aimants ; et aimés.
Toute la complexité de la condition humaine est là. Et la fin qui n’en est pas une, vient nous rappeler à tous que nous sommes bien téméraires lorsque nous jugeons nos semblables.
Quant à la forme, elle est très intéressante. Un annoncier mène le jeu. Il dit les lieux, les gestes, décrit les personnages, souligne les silences. C’est qu’il s’agit ici de se concentrer sur les paroles prononcées par les protagonistes. Le visuel n’intervient que dans la tête des spectateurs, comme quand vous écoutez une pièce radiophonique…
Hamelin est une pièce passionnante et déstabilisante.
Informations pratiques
Auteur(s)
Juan Mayorga
Prix
11 euros
Éditions Les Solitaires Intempestifs
www.solitairesintempestifs.com