Article de Marianne Guernet-Mouton
Au cœur de la censure quotidienne
C’est au dernier Festival d’Avignon qu’Amir Reza Koohestani a présenté Hearing, son nouveau spectacle créé à Téhéran qui entend bien contourner la censure iranienne pour dire ce que le théâtre ne peut plus montrer, mais faire entendre. En tournée à Paris au même moment que le spectacle du syrien Omar Abusaada « Alors que j’attendais » au Tarmac, Hearing s’inscrit dans un paysage politique en tension et produit un théâtre engagé, pourtant loin d’être un réquisitoire contre le gouvernement iranien.
© Amir Hossein Shojaei
Sur une scène complètement dépouillée simplement surmontée d’un écran géant, Samaneh fait son entrée, convoquée par la directrice de son dortoir de jeunes femmes pour témoigner de ce qu’elle aurait vu, et signalé dans un rapport qu’elle nie avoir écrit, le soir du Nouvel An. Restée au dortoir de son université pour cette fameuse soirée, elle a cru entendre une voix, ou plutôt un rire d’homme depuis la chambre de Neda. Commence alors un long interrogatoire où les deux jeunes femmes seront tour à tour convoquées et condamnées à revivre en boucle les questions de la surveillante qui admet s’être absentée ce soir-là. Mais plus que ce moment face à leur supérieure assise dans le public, qui prend comme la place des membres du comité de la censure, Neda et Samaneh plongent dans la culpabilité d’un instant qui a marqué leur vie.
© Amir Hossein Shojaei
Depuis cet instant presque regretté de la potentielle venue du jeune homme dans le dortoir, toute leur vie durant elles revivent l’oppression. Alors que Neda finira par s’exiler en Suède, Samaneh, elle, qui s’est mise à faire du vélo en souvenir de Neda qui dévalait librement les rues de Téhéran, ne vit plus que par culpabilité. Aurait-elle dû parler de ce qu’elle a cru entendre la nuit de Nouvel An ? Le mal est fait, elle ne peut plus changer ses réponses aux questions et en Iran, une simple ouïe dire peut avoir des conséquences néfastes. Peu importe ce qu’elle a vraiment vu, ces questions continues auront raison d’elle et sous nos yeux, elle croule sous la pression, elle craque, elle dit avoir reconnu l’homme qui est venu, par son rire, avant de se rétracter comme prenant conscience du poids de son éventuel témoignage dans une société aussi surveillée que la leur. De leurs voix fébriles et inquiètes, figées par la peur d’un jugement, les deux jeunes comédiennes transmettent avec peu de gestes toute une société sclérosée par la censure. On regrette presque l’usage de la vidéo qui n’est pas assez assumé, filmées hors scène et projetées sur le grand écran, les jeunes femmes nous apparaissent comme perpétuellement surveillées et les effets de jeu entre l’écran et la scène auraient gagné à être davantage exploités et soignés. Pour autant, le metteur en scène et auteur du texte Amir Reza Koohestani est parvenu comme il sait le faire à passer à travers les grilles de la censure iranienne, qui refuse catégoriquement toute mise en scène des sujets politiques et sociaux sensibles, avec force.
Tout le génie de la mise en scène vient du paysage mental que les spectateurs parviennent à se former, ce que le théâtre n’a pas le droit de montrer ou de dire explicitement et qui finalement, nous semble indicible. Plus que des mots, l’oppression paraît se vivre et s’infiltrer dans des gestes du quotidien et dans ces discussions qui font et défont les amitiés, ces choses que l’on dit sans savoir que quelqu’un nous écoute.
Hearing
Texte et mise en scène de Amir Reza Koohestani
Assistants mise en scène, Mohammad Reza Hosseinzadeh et Mohammad Khaksari
Avec Mona Ahmadi, Ainaz Azarhoush, Eklham Korda, Mahin Sadri
Du 11 au 19 octobre 2016
Théâtre de la Bastille
76, rue de la Roquette
75011 Paris