La guerre de Troie telle qu’elle est racontée dans l’épopée d’Homère, est un récit d’hommes, de héros, de dieux, de combats. De ce récit que l’on veut édificateur, que reste-t-il de l’individu ? Qui sont-ils ces hommes, derrière les héros qu’ils incarnent sur la scène du champ de bataille ? Et surtout, qu’en est-il des femmes ? Réduites à des objets, des trésors, des trophées, elles sont oubliées derrière de simples noms. De nombreuses réécritures contemporaines choisissent de donner enfin la parole à ces héroïnes, comme c’est le cas de Simon Abkarian et son Hélène après la chute.
Dix ans après son enlèvement par le prince troyen Pâris qui déclencha la guerre de Troie, Hélène retrouve Ménélas, son mari et roi de Sparte. Si les raisons de torturer l’autre à hauteur des douleurs endurées sont nombreuses, leur amour discret et fragile perce malgré tout dans ce dialogue où Hélène, indocile et lucide, confronte son époux à ses abus et l’oblige à constater les dégâts commis par ses pairs.
L’écriture de Simon Abkarian est une véritable poésie qui mêle la lourdeur – le poids qui pèse sur l’épaule de ses protagonistes – la finesse, l’ironie – parmi les plus belles punchlines que peuvent s’envoyer des personnages mythologiques. Il parsème également son récit d’un light motiv autour de la nature, omniprésente, comme métaphore constante des regrets, du passé qui renaît dans les mots d’Hélène et Ménélas : les pas de la fuite dans le sable, les va et vient de la mer dont chacun d’eux n’est qu’une vague, les arbres, la forêt dans laquelle leur jeunesse s’est tant de fois perdue. Cette poésie transcende leur besoin de combler le silence, la distance, les années, les non-dits.
Car cette pièce, bien plus qu’une histoire de revanche – ce que tout le monde attend de Ménélas – est le récit de la tragédie d’un couple. Une tragédie banale, ou qui aurait pu l’être si elle n’avait pas été piégée dans les filets des dieux et des alliances, dans la course de la Grande histoire. Hélène après la chute raconte les individus dans ce qu’ils ont de plus humain. Ménélas raconte l’impossible dilemme entre le jeune amant et le roi vieilli trop vite, entre son amour brisé et ses serments politiques. Hélène raconte son abandon, sa quête de liberté, son besoin de vie. Au cœur de la fatalité à laquelle ils n’ont pas pu échapper, ils se racontent l’amour, la trahison, la haine, le remords, le pardon, la mort – et ses nombreuses victimes à qui Hélène rend hommage rien qu’en les citant. Et le désir, qui pointe, se tend timidement, toujours présent.
Au lendemain de la guerre de Troie, ceux que l’on retient sont encore les hommes : Ulysse et son périple pour retrouver Pénélope, Énée et ses fils, dont la descendance s’en ira fonder Rome. Simon Abkarian donne la part belle à une femme, dès le titre éponyme : Hélène, ce nom que Ménélas est incapable de prononcer. Au cœur de ce récit du lendemain, que représente-t-elle après la guerre, « après la chute » ? Qui est-elle quand elle dépasse l’image que les hommes se font d’elle ? Enfermée dans cette image, dans ces qualificatifs qui la pointent du doigt – femme la plus belle du monde, puis pute de Troie – elle se dresse ici dans l’ombre, pour se réapproprier son nom et son histoire. Dans une belle métaphore de théâtre, elle remet en cause la plume de l’auteur originel et ses dieux pour se crier femme, s’affirmer individu, se montrer enfin telle qu’elle décide d’être.
De nombreux récits, théâtraux ou romanesques, mettent en lumière les femmes de la mythologie. La sœur d’Hélène, Clytemnestre, apparaît au-delà des crimes que la mythologie retient d’elle dans Clytemnestre de Costanza Casati, ou la pièce de théâtre Les Larmes de Clystemnestre. On retrouve aussi Lysistrata, mon amour de Matéi Visniec ou le roman Circé de Madeline Miller.
Informations pratiques
Auteur(s)
Simon Abkarian
Prix
11 euros
Éditions Actes Sud
www.actes-sud.fr