« HEN » de Johanny Bert, Femme ou homme, je suis

Hen, mise en scène Johanny Bert © Christophe Raynaud de Lage

D’abord, l’affiche nous retient, du moins son personnage central, une marionnette au corps féminin très sexué pour nous adultes, à n’en pas douter. La taille est marquée, les hanches arrondies et quand le regard remonte, il y a du monde au balcon. La poitrine est vindicative au reflet des cônes de Jean-Paul Gaultier. Sur le crâne rasé, une coiffure iroquoise se dresse, pleine de plumeaux qui feront le ménage dans le genre.

En effet, HEN, pronom suédois entré dans le dictionnaire en 2015, permet de désigner indifféremment un homme ou une femme, notamment au service d’une expérience de pédagogie moins discriminante dans les manuels scolaires. À l’image de « iel » pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier ou du pluriel, apparu dans les années 2010 et employé pour évoquer une personne quel que soit son genre, « hen » se définit non binaire.

Au travers de Johanny Bert, HEN nous annonce d’emblée « Je ne suis pas transgenre, encore moins travesti. Je suis un pantin, une chimère, libre et insolente alias qui peut devenir toutes les identités. ». Cette liberté de parole jointe à celle des actes est froidement confrontée à l’actualité fracassante de faits divers appuyés de chiffres et de pourcentages alarmants. L’insolence servie par la chimère protégée du béton du réel reprend pourtant de belle dans ses rebonds incessants sans agressivité et revendication outrancières. Johanny ne tombe pas dans ce piège et c’est sa force. L’insolence se pare de candeur avec sa ponctuation récurrente « Et voilà ! » toute douce mais néanmoins très efficace pour nous atteindre en plein cœur.

La marionnette justifie le fait d’aller loin, en profondeur avec l’alibi « Je suis une chimère, je ne suis qu’une marionnette. » Elle rend visibles et audibles les plus grandes audaces, à l’abri d’une certaine candeur comme nous l’avons déjà dit. Ce dédoublement ainsi que le jeu du visible et de l’invisible s’invitent dès le début du spectacle où HEN est derrière un voile qui se déchire comme une chrysalide. Le papillon apparaît dans sa réalisation qui prend sa liberté d’être ce qu’elle ou il est, d’abord nue puis vêtu.e de cuir noir très rock ou de robe de strass très glamour.

Les émotions sont présentes. La marionnette est tellement incarnée que le spectateur/auditeur oublie qu’elle en est une. Et pourtant, les clichés féminins déjà évoqués avec l’affiche sont présents comme ceux, masculins, dans le corps excessivement musculeux de la marionnette. Au passage, le travail technique et plastique des différents corps de HEN réalisés par Eduardo Félix, plasticien et sculpteur, sont à souligner comme celui des costumes exubérants de Pétronille Salomé donnant toute sa noblesse au cabaret dont les lumières sont à la hauteur aussi (le cadre néon définissant le castelet traditionnel est une jolie trouvaille). Une marionnette bi-matière nous offre même un corps bi-sexué dont une jambe est recouverte d’une moitié de pantalon et l’autre d’une moitié de jupe.

Le clou du spectacle, s’il n’y en a qu’un, est au niveau du décor avec une scène envahie de pénis qui poussent comme des champignons, mycose du genre masculin qui l’emporte sur le féminin même en grammaire. Mais, le gros clou, c’est tout de même l’énorme pénis en velours sombre qui s’étale en long et en large mais surtout en long, dépassant la scène pour empiéter sur l’espace des spectateurs dont il faut réveiller la conscience par tous les moyens et surtout par les plus gros sur le plan sensoriel. Le rire peut venir tellement c’est culotté voire « slippé ».

La dislocation du corps dans son intérieur et extérieur mettant à jour organes et squelette répond à la déconstruction genrée que nous offre Johanny Bert dans une forme cubiste en 3 dimensions. Une fois encore, la forme révèle le contenu de manière poétique et caustique dans l’enveloppe musicale qui fait passer le paquet à la douane du spectateur. Les voix parlée et chantée de HEN se révèlent envoûtantes. Sans formation classique, Johanny Bert donne une prestation qui peut faire penser à Antony Johnson. Les chansons comme la reprise d’ « Éternelle » de Brigitte Fontaine complètent le plaisir musical du spectateur comblé, venu et à venir.

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Hen, mise en scène Johanny Bert © Christophe Raynaud de Lage

Informations pratiques

HEN – Création 2019

Conception, mise en scène et voix de HEN
Johanny Bert

Avec
Manipulateur de HEN Johanny Bert
Collaboration mise en scène Cécile Vitrant
Arrangements et musique en live Guillaume Bongiraud (violoncelle électro-acoustique et ukulélé),
Cyrille Froger (percussionniste)
Auteurs compositeurs Brigitte Fontaine, Prunella Rivière, Laurent Madiot, Pierre Notte…
Fabrication des marionnettes Eduardo Felix
Lifting Hen Laurent Huet
Travail vocal Anne Fischer
Dramaturge Olivia Burton
Création lumières Johanny Bert, Gilles Richard
Création costumes Pétronille Salomé
Assistante costumes Carole Vigné
Stagiaires costumes Lune Forestier, Solène Legrand, Marie Oudot
Assistante manipulation Faustine Lancel
Construction décor Fabrice Coudert assisté de Eui-Suk Cho

Production Production Théâtre de Romette

Durée
1h15

Dates
Du 9 au 27 mai 2023 – Théâtre de l’Atelier, Paris

Adresse
Théâtre de l’Atelier
Place Charles Dullin
75018 Paris

Informations complémentaires
Théâtre de l’Atelier
www.theatre-atelier.com

Théâtre de Romette
www.theatrederomette.com

Projet HEN
www.hen-show.com