« Huis clos » de Jean-Paul Sartre, mise en scène Agathe Alexis et Alexis Barsacq, au Théâtre de l’Atalante

Article de Marianne Guernet-Mouton

Philosophie en acte

Dans un espace en bifrontal, les metteurs en scène ont créé un lieu complètement dépouillé, occupé seulement par les objets rituels de la pièce : le bronze de Barbedienne, un coupe-papier, trois fauteuils entrelacés, et le vide. C’est dans cet espace sans âme que se retrouvent pour l’éternité les protagonistes de Sartre, trois clients qui ne se sont jamais croisés sur terre, introduits par un garçon d’étage.

huis-clos_1© DR

Depuis 1943, date à laquelle Sartre a écrit cette fameuse pièce en un acte, « L’enfer c’est les autres » est devenue l’une de ces phrases monuments tombée dans langage courant que l’on entend à tout va. Mal comprise disait Sartre, elle prend aujourd’hui tout son sens dans la mise en scène d’Agathe Alexis et Alain Alexis Barsacq. Ce ne sont pas les rapports avec les autres qui sont infernaux, mais dès lors que les rapports sont viciés « l’autre ne peut-être que l’enfer ». Confrontés à la présence intrusive de l’autre et à la vie sur terre qui continue sans eux, les trois personnages se retrouvent coincés dans cet espace sombre mais chaud qui ne leur laisse aucune chance de sortir ni de se retrouver seul. Chacun leur tour bourreau ou arbitre des deux autres, ils se déchirent, se plaquent au sol, aux murs, se crachent à la figure et se confessent de l’acte qui les a menés ici. L’absence de miroirs couplée au fait que les fauteuils sont mêlés les uns aux autres fait que tous n’existent plus que dans le seul reflet, aussi biaisé soit-il, du regard des autres.

huis-clos_2

© DR

Dans cette mesure, le choix du bifrontal qui fait miroir et qui soumet les spectateurs et les acteurs au regard d’autres spectateurs et à un jeu d’ombres permanent est plus qu’éloquent : percutant. Dans leur joute verbale et leurs silences, Anne Le Guernec (Estelle) et Bruno Boulzaguet (Garcin) sont effroyablement émouvant tant ils semblent vouloir revivre un instant sur terre et restent attachés aux souvenirs, même matériels, de leur vie terrestre et passée. Face à eux, Agathe Alexis qui joue Inès, performe dans son rôle cynique, acerbe, résigné et d’une précision à couper le souffle. Son jeu, son rire et sa présence scénique sont tels qu’elle en viendrait presque à incarner le bourreau des deux autres – qui heureusement contrebalancent sa performance – bien que tous se refusent finalement à quitter ce lieu lorsque enfin la porte close s’ouvre sur un couloir lumineux, et leur donne une chance de s’évader.
Quand la philosophie devient théâtre : la vie se retrouve jugée en un seul acte. Ainsi la mise en scène est incarnée avec force et sobriété, la réflexion existentialiste est magistrale.

 

 

Huis clos
de Jean-Paul Sartre
Mise en scène Agathe Alexis et Alain Alexis Barsacq
Scénographie et costumes Robin Chemin
Chorégraphie Sophie Mayer
Réalisations sonores Jaime Azulay
Assistanat à la mise en scène Grégory Fernandes
Régie son et lumières Olivier Oudiou
Avec Agathe Alexis, Bruno Boulzaguet, Anne Le Guernec, Grégory Fernandes jusqu’au 22 mars ou Jaime Azulay du 24 au 27 mars
Du 9 au 27 mars 2016

Théâtre de l’Atalante
10, place Charles Dullin
75018 Paris
http://www.theatre-latalante.com