Article d’Ondine Bérenger
Quêtes d’identité par-delà la mémoire
Au cours d’une prise d’otage dans un théâtre à Jacobia, Julien Bernard perd la mémoire, et se fait enrôler par les terroristes qui l’ont enlevé. Quelques mois plus tard, il regagne la France dans l’espoir de retrouver son identité. Dans le même temps, sans nouvelles de lui, Elisa, sa femme, décide de partir à sa recherche.
Et vingt ans plus tard, c’est leur fille, Sam, qui tente à son tour de retrouver son père pour lui rendre son passé. Pendant ce temps-là, Gaspar Kasper, auteur à succès, raconte son histoire à travers un livre ; histoire étonnamment semblable à celle de Julien Bernard…
Dans un décor plutôt froid, presque austère, qui restera quasiment inchangé au cours de la représentation, l’on observe en premier lieu, incrédule, une histoire fragmentée, des scènes éparses qui semblent tout d’abord déconnectées les unes des autres. Ce n’est qu’au fil du temps que ces différents fragments se rassembleront, afin de recomposer le passé difficile d’Alban le Français, de Julien Bernard. C’est une pièce atypique, complexe, mais immensément riche que nous offrent ici les Sans Cou ; l’intrigue est admirablement menée, le rythme est soutenu, et le spectateur ne cesse de se questionner sur ce qu’il voit, ce qu’il comprend, ce qui suivra.
L’espace scénique est très bien mis à profit par l’aménagement d’un étage et l’utilisation de projections, ce qui facilite l’exploitation poussée des possibilités offertes par l’art théâtral. Ellipses, sauts dans le temps, croisement de lieux, tous les moyens sont mis en œuvre pour représenter toute la complexité de l’intrigue et du sujet qu’elle aborde : l’identité, aussi bien individuelle que collective, et artistique. En effet, les nombreux personnages se cherchent, se perdent, se trouvent, s’interrogent en un mouvement continu qui emporte le spectateur dans une quête bien étrange.
De plus, l’excellence de l’interprétation permet de rendre vivante l’histoire de la pièce, tout en affirmant continuellement sa non-existence réelle, son jeu, l’illusion théâtrale, ce « degré de tension entre le théâtre et le monde » évoqué par Igor Mendjisky. Chaque comédien donne à son (ou ses) personnage(s) un véritable souffle de vie, qui rend chacun d’eux attachant dans ses incertitudes. Par conséquent, la palette d’émotions ressenties au fil du récit est vaste, et l’on oscille perpétuellement entre le rire et la tristesse, entre l’espoir et le doute. C’est assurément une pièce puissante, qui questionne le spectateur, qui le rend acteur, même, par la force de sa pensée et de ses questionnements.
L’ambition affichée de cette œuvre était de mettre en mouvement le spectateur et de représenter, peut-être, les incertitudes d’une génération : le pari est réussi. Attention cependant, car cette pièce n’est pas tout public : la violence de certaines scènes, ainsi que la construction atypique de la trame la rendent sans doute inaccessible à un public très jeune ou aux personnes les plus sensibles.
À découvrir pour tous les autres.
IDEM
Création collective les Sans Cou
Mise en scène Igor Mendjisky
Avec Clément Aubert, Raphaèle Bouchard en alternance avec Camille Cottin, Romain Cottard, Yedwart Ingey, Paul Jeanson, Imer Kutllovci, Arnaud Pfeiffer, Esther Van Den Driessche
Scénographie Igor Mendjisky et Claire Massard
Costumes May Katrem
Régie Générale et création lumières Stéphane Deschamps
Régie son et vidéo Yannick Donet
Animation 2D Cléo Sarrazin
Régie plateau Jean-Luc Malavasi
du 12 novembre au 13 décembre
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie
route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
www.la-tempete.fr