« IL N’Y A RIEN DANS MA VIE QUI MONTRE QUE JE SUIS MOCHE INTÉRIEUREMENT », une étude brute et minimaliste des scènes de féminicide

Il n’y a rien dans ma vie qui montre que je suis moche intérieurement de Agnès Limbos, Cie Gare Centrale
© Nicolas Meyer

Du Petit Chaperon rouge à la myriade de séries criminelles contemporaines, il y a une convention narrative que respectent tous les récits de prédation, sauf par opposition au trope : la répartition genrée des rôles, entre le tueur et la victime. Une femme tuant un homme n’est pas aussi anodin que l’inverse, et attire d’autres adjectifs. C’est pourtant sur cette problématique du rôle que s’axe la nouvelle pièce de la Compagnie Gare Centrale, Il n’y a rien dans ma vie qui montre que je suis moche intérieurement. Une femme d’abord affalée comme un cadavre se relève pour donner à voir, sans trop en dire, plusieurs scènes de rencontres et de mort, où elle joue tour à tour la victime, le bourreau et tout ce qui gravite autour.

À cheval entre le roman policier et le conte de fées, Agnès Limbos et ses complices prennent un malin plaisir à entremêler les tonalités pour révéler ce qu’elles ont de semblable – la trame cyclique que reprend la pièce – et renforcer leur satyre des représentations : de l’image fantasmée du prince à la réalité crue du fait divers, il n’y a qu’un pas dans le vide.

L’objet prend alors un double rôle. Il est d’abord la figuration du monde intérieur de la montreuse, monde comique et poétique perturbé par la violence geste meurtrier, et qui trouve son écho dans le jeu clown et dans les processions de jeunes filles en robe. Mais c’est surtout un objet transitionnel, qui apporte distance et humour aux scènes de féminicide, et délivre l’actrice du carcan de la victime. Les dialogues en anglais fonctionnent de la même façon, et participent à décaler le geste de son objet, pour lui apposer un sens supplémentaire.

Car sans être choquante, la pièce cherche à rester vibrante et pulsionnelle. Détaché de sa cible première, le geste est esthétisé et mène à la création de tableaux performatifs, bruts, délivrés de sens, mais servant ce même but : dégager l’énergie en la détournant. Au-delà du hameçon dramaturgique, la pièce est surtout un mouvement initiatique vers la puissance de l’objet. L’héroïne reste avare de réponses, et la suite de l’histoire ne fait que brouiller les repères. À terme, il ne reste qu’un carcan assez plein pour susciter l’imaginaire, et surtout assez vide pour se laisser remplir. De moins en moins bavarde, l’héroïne a une chaussure, qui pourrait être Cendrillon aussi bien qu’une rescapée, nous fait passer du règne des mots à celui, bien plus intime, des images. Le théâtre d’objet se révèle comme le support idéal pour critiquer nos modes de représentation. Dévoreuse, dévorée ? Cela n’a plus d’importance.

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Il n’y a rien dans ma vie qui montre que je suis moche intérieurement de Agnès Limbos, Cie Gare Centrale
© Nicolas Meyer

Informations pratiques

IL N’Y A RIEN DANS MA VIE QUI MONTRE QUE JE SUIS MOCHE INTÉRIEUREMENT
Cie Gare Centrale

Auteur(s)
Agnès Limbos, Pierre Sartenaer

Conception et mise en scène
Agnès Limbos

Jeu
Agnès Limbos, Pierre Sartenaer
Création Lumières Nicolas Thill
Régie en alternance Nicolas Thill et Joël Bosmans
Création son Guillaume Istace
Coaching figurantes Anastasia Guevel
Regard et collaboration artistique Simon Thomas

Dates
Du 10 au 19 janvier 2023 au Théâtre du Mouffetard, Paris
Les 23 et 24 mars 2023 Festival Marto ! au Théâtre de Châtillon Clamart, Châtillon

Durée
1h20

Adresse
Théâtre Le Mouffetard
73, rue Mouffetard
75005 Paris

Informations complémentaires

Théâtre Le Mouffetard
lemouffetard.com

Compagnie Gare Centrale
garecentrale.be