« IMPROVISATIONS AUTOUR DE RICHARD III », Le théâtre est un jeu entre amis

Improvisations autour de Richard III, mise en scène Thomas Ostermeier © Arno Declair

De par son réalisme efficace (et grâce aussi à la performance de Lars Eidinger), le Richard III de Thomas Ostermeier, avait connu un immense succès en France, à Avignon en 2015 et à l’Odéon en 2017. La pièce devait se rejouer au théâtre des Gémeaux, à Sceaux, du 20 au 30 janvier 2022. Mais les représentations ont été annulées sur décision du conseil d’établissement de la Schaubühne, pour cause du nombre inquiétant de cas en France. Pourtant, cette décision n’a pas entravé la détermination du metteur en scène, de son acteur qui ont décidé de maintenir leur présence, de venir sans la troupe, quitte à proposer autre chose : des improvisations autour de la pièce, “un laboratoire ouvert au public”.

C’est donc une performance originale et peu préméditée qu’ils ont proposée à la place de la pièce. Sur le plateau, face au public éclairé, les deux hommes ont donné les raisons de leur présence et ont rappelé en quoi elle est un geste qui a déjà une signification en soi : remerciement au fidèle public français qui continue à s’asseoir dans des salles combles, lutte contre la réduction des spectacles et des événements culturels, lutte contre la réduction des échanges à l’heure d’une résurgence des nationalismes (on note d’ailleurs l’effort des deux hommes pour parler anglais tout au long de la performance), affirmation du u caractère vivant du spectacle, plus que jamais. Nous saluons ce geste aussi fort que nécessaire.

S’ensuit une expérience qui chaque soir a dû être unique, car non ou peu préméditée – ce qui rappelle à quel point le théâtre est un art vivant, et à quel point, pour n’importe quelle pièce, chaque représentation diffère de la précédente. Pour ce qui est du 21 janvier, le metteur en scène s’est proposé de donner la réplique et les indications à son acteur pour faire émerger quelques scènes de la pièce, avec l’idée de montrer au public comment ils travaillent ensemble, comment ils appréhendent une scène et un rôle, comment les idées leur viennent (notamment à partir d’échec et de pistes abandonnées). Lars Eidinger a expliqué ses choix, ses doutes et ses décisions pour donner corps au monstre shakespearien tout en se métamorphosant effectivement en ce monstre.

Si nous n’avons pas vu la pièce aux Gémeaux, nous avons bel et bien vu un spectacle mémorable. La performance parvient à faire émerger le personnage, dans une cadre autre que celui de la pièce, et l’expérience est inouïe. Montrer les coulisses n’est pas un frein à la crédibilité de ce qui se montre, comme l’a rappelé l’acteur en citant Brecht : “Show that you are showing”. On y croit. Le théâtre, le temps d’une soirée, est ramené à son essence, le jeu. Sur le plateau : la complicité de deux amis qui entrent petit à petit dans une histoire dont ils s’inventent les protagonistes.