« Les Insoumises » d’après les textes de Lydia Tchoukovskaïa, Virginia Woolf et Monique Wittig, mise en scène Isabelle Lafon, Théâtre de la Colline

Article de Pierre-Alexandre Culo

Les Insoumises se perdent dans la nuit et la poussière.

À travers l’écriture, les mots si particuliers de ces auteures du XXème siècle, Isabelle Lafon conçoit un projet en trois temps de la figure de ces trois femmes, un cycle qui traverse des instants, fugaces ou étirés, de ces Insoumises. Malgré un investissement d’interprétation qu’Isabelle Lafon semble cacher comme un petit trésor, ces trois spectacles se perdent dans une adaptation convenue et un peu vieillie. Virginia Woolf parlait de cette liberté nécessaire laissée aux mots pour qu’ils puissent exister… Une liberté bridée par une mise en scène trop classique et conventionnelle pour se situer dans la grâce de la simplicité.

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© DR

Deux ampoules sur cinq inspiré des Notes sur Anna Akhmatova de Lydia Tchoukovskaïa se veut audacieux dans sa volonté de jouer la rencontre de ces deux femmes dans la nuit de l’oppression soviétique. Les deux auteures entretiennent une parole que le régime réprime, apprennent par cœur les poèmes d’Anna Akhmatova voués à disparaître. Cette rencontre est belle, urgente et révolutionnaire. Sur une table recouverte de livre, le spectacle doit se jouer dans le noir seulement éclairé par les lampes torches données au premier rang. Un procédé audacieux mais trop timide. Les deux femmes finissent par s’éclairer dans le confort des lampes de bureaux. Le procédé ne va pas au bout de ses intentions. Et si les spectateurs n’éclairaient finalement pas le plateau et laissaient ces femmes parler dans le noir complet ? L’urgence des mots n’aurait été que plus grande, et la volonté de les entendre, de les faire exister, ces femmes, par la lumière, aurait donné une véritable responsabilité au spectateur.

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© Pascal Victor

Des livres du premier volet, il n’en restera que les pages volantes jonchant le sol. Le volet consacré à Virginia Woolf, Let me try, est une succession de dates et de tableaux où les trois femmes interprètent à leur façon la figure et la parole de Virginia Woolf. Trois femmes pour trois facettes de sa personnalité. Seul l’interprétation d’Isabelle Lafon permet de faire résonner ces mots urgents, ces mots qui ne veulent pas se soumettre, d’en porter la charge subversive. Une force à la fois dans le jeu et dans l’écoute de cette artiste non-conventionnelle qui vient jouer sans transition après nous avoir accueillis dans la salle et sans costume. Ces mots résonnent dans ses yeux quand elle écoute, reçoit, accueille le langage de ces femmes interprétées par Johanna Korthals Altes et Marie Piemontese. Cette création est davantage réussie dans la perception d’Isabelle Lafon que dans la perception du plateau.

Le dernier opus, L’Opoponax de Monique Wittig, sauve heureusement l’ensemble. Intégralement interprété par Isabelle Lafon et assisté à la batterie par Vassily Schémann, ce dernier volet développe l’énergie et la force de l’écriture, déploie des visions qui dépassent la simple restitution. Un véritable investissement se passe et franchit la ligne que les deux premières Insoumises ont peiné à passer.

 

 

 

Les Insoumises

d’après Lydia Tchoukovskaïa, Virginia Woolf, Monique Wittig

un projet en trois temps d’Isabelle Lafon

Deux ampoules sur cinq

inspiré de Notes sur Anna Akhmatova de Lydia Tchoukovskaïa

Let me try

d’après le Journal 1915-1941 de Virginia Woolf

L’Opoponax

de Monique Wittig

avec Johanna Korthals Altes, Isabelle Lafon, Marie Piemontese, Vassili Schémann

 

du 20 septembre au 20 octobre 2016

 

Théâtre de la Colline

15 rue Malte Brun

75020 Paris

http://www.colline.fr