Article de Paula Gomes
Du carnaval à l’opéra : danse pantomime, corps métamorphosés, théâtre en émotions
Un couple en peignoir blanc, un manche à balai à la main semble disputer un match mystérieux autour d’une ligne rouge sur une scène dépouillée, encadrée par des néons avec trois marches centrales et un cheval bleu gigantesque à gauche. Ils dévoilent leur corps flamboyant, bras et main peints, en tenue de tennismen tout en blanc avec bandeau, lunettes noires et serviette autour du cou. Ces danseurs articulés à l’énergie débordante évoluent dans des lieux irréels: défilé de carnaval, court de tennis, piscine… Un univers futuriste, animal où les images se construisent et s’effacent rapidement sur des rythmes entraînants ou inattendus. Métamorphoses, créatures hybrides, mythes, fumée blanche et une certaine abstraction nous invitent à rêver et à danser.
© Marlene Monteiro Freitas (c) Uupi Tirronen Zodiak-Center for New Dance
« Jaguar » est une pure fiction, une scène de chasse dans un théâtre de marionnettes sans paroles, créée et interprétée par la chorégraphe capverdienne Marlene Monteiro Freitas avec la collaboration du danseur allemand Andrea Merk. Cette pièce dense et surprenante aux inspirations artistiques hétéroclites (art brut, expressionnisme) s’assombrit peu à peu. Les figures ne sont plus impeccables, corps et décors se défont, la musique s’intensifie annonçant une issue dramatique. Tels des pantins, ce duo complémentaire interprète de multiples personnages en mouvements perpétuels, passant du rire aux larmes, moments suspendus entre vie et mort qui tient le spectateur en haleine pendant près de deux heures.
© Marlene Monteiro Freitas (c) Uupi Tirronen Zodiak-Center for New Dance
Marlene Monteiro Freitas explore les limites des corps, des objets et du plateau jusqu’à en perdre le contrôle : individus se confondent et se complètent, déstructuration et autres artifices. En totale liberté, son travail ne s’attache pas à l’esthétique et au sens mais plutôt à l’expérience et aux émotions brutes. Elle s’inspire du Cavalier bleu, groupe d’artistes expressionnistes allemands créé au début du XXème siècle et de l’artiste suisse d’art brut Adolf Wölfli aux dessins saturés avec de multiples résonances. Ces marionnettes abandonnées aux mains des autres, sont portées par la musique (festive du carnaval, tragique des grands opéras) et les éléments (pluie en goutte à goutte, torrentielle, douche, cheval déplacé). Les visages expressifs, grimaçants ou éteints ne laissent jamais indifférents. Le désir de perfection se retrouve dans le blanc de la tenue des comédiens et la manipulation obsessionnelle de la serviette. Cela renvoie à la recherche esthétique dans les représentations de la peinture occidentale au cours des siècles. Les contraires sont en présence : beauté et laideur, lumière et obscurité, érotisme et funèbre, antique et moderne, divin et terrestre… De l’humour, de l’absurde, des mythes, une pantomime déconcertante pour une oeuvre originale qui invite au voyage, parfois nous perd et nous fait ressentir quelques longueurs.
Véritable performance de deux artistes brillants et inventifs, maîtrisant parfaitement leurs gestes. Andrea Merk excelle dans la métamorphose. « Jaguar » animal puissant et silencieux qui vit dans des forêts très denses, avec beaucoup de végétation à l’image des comédiens et de leur travail dans un monde instable, en turbulences. Malgré tout, les protagonistes avancent ensemble dans la même direction, serviette en turban, visage peint. Tableau ou personnages de carnaval. L’interprétation est ouverte.
Jaguar
de Marlene Monteiro Freitas
Chorégraphie Marlene Monteiro Freitas en collaboration avec Andreas Merk
Performance Marlene Monteiro Freitas, Andreas Merk
Lumière et scénographie Yannick Fouassier
Son Tiago Cerqueira
Accessoires scéniques João Francisco Figueira, Miguel Figueira
Recherches João Francisco Figueira, Marlene Monteiro Freitas
Remerciements Betty Tchomanga, Avelino Chantre
Du 24 au 26 Mars 2016
Grande Salle, Niveau – 1
Centre Pompidou
75004 Paris