« JAMAIS DORMIR » de Baptiste Amann ou le manifeste espiègle du rêve éveillé

Une montagne de doudous.
A son sommet, une petite fille.
Elle s’appelle Thalia.

De tout là-haut, Thalia relève la tête pour parler aux enfants venus lui rendre visite pendant l’une de ses nombreuses nuits de lutte contre le sommeil. D’ailleurs, elle s’adresse aussi aux plus grands puisqu’ils ont été « mis devant un spectacle pour enfants, histoire de bien tomber dans le panneau ». Et pourquoi Thalia lutte-t-elle contre le sommeil ? Parce qu’elle ne dort pas et c’est comme ça. Non. C’est parce qu’elle préfère dessiner ses propres nuits (aux éditions Actes Sud-Papiers, magnifiques illustrations hautes en couleur de Rose Aubert) plutôt que de plonger dans ce grand Noir. À moins que ce ne soit parce qu’elle ne fait pas partie du « commun des mortels » ? Au fur et à mesure de cette curieuse nuit, les déclarations solennelles anti-sommeil affluent, se brouillent jusqu’à brouiller la question même. Car avant toute explication rationnelle et rationalisante, Thalia nous invite à voir le théâtre pour ce qu’il est : « un prétexte » qu’on donne aux autres pour s’autoriser à prendre le large. C’est « un mensonge pour faire court », semblable au rêve éveillé, n’est-ce pas ?

Ce n’est pas un hasard si cette petite fille s’appelle Thalia, muse de la Comédie. Elle aime être appelée la « fleurissante », « à fleur de peau », celle qui « déborde », qui n’est « pas facile à suivre ». Et si elle n’est pas si facile à suivre, avec un imaginaire dense et fertile, c’est parce qu’elle s’échappe. Elle évite d’ailleurs courageusement la mer de la déesse Mélancolia, l’un des plus grands dangers de la Nuit. Mais la vraie question qui sous-tend toutes ces péripéties, celle que l’adulte aussi se pose en naviguant aux côtés de Thalia : peut-on éternellement s’échapper ?

Lors d’une rencontre au Théâtre Public de Montreuil, Baptiste Amann déclarait : « n’être que dans un univers naturaliste ou que dans un univers poétique ne me satisfait pas ». Son écriture joue en effet à la frontière de ces deux univers. Suivant les préceptes de sa propre fille de huit ans, l’auteur ne prend pas les enfants pour des idiots. Jamais dormir interroge nos rêves pour interroger le réel jusqu’à interroger même les notions de spectateurs et de personnages. Au même titre que Thalia, son écriture est joueuse : néologismes, énigmes, clins d’œil aux enfants et aux adultes. Il est amusant de savoir qu’avant d’écrire la trilogie Territoires, succès d’Avignon en 2021 et Salle des Fêtes, 2023, Baptiste Amann était membre de l’IRMAR, l’Institut de Recherche Menant à Rien, inspiré des sons de la vie, de John Cage et de la fondue de poireau où le texte était banni mais certainement pas l’humour et le décalé. Jamais dormir, première écriture jeunesse de l’auteur, a gardé tout de ce mystère et de cette impertinence.

Informations pratiques

Auteur(s)
Baptiste Amann
Illustratrice : Rose Aubert

Prix
14 euros

Éditions Actes Sud
www.actes-sud.fr