Jungle Book de Bob Wilson © Lucie Jansch
Que reste-t-il de la nature aujourd’hui ? C’est sans doute la question la plus importante que pose le dernier spectacle de Bob Wilson, présenté au théâtre du Châtelet jusqu’au 20 novembre. Comme dans le livre de Rudyard Kipling, Mowgli (Yuming Hey), enfant abandonné par les humains dans la jungle, est recueilli par les loups (William Edimo & Emma Liégeois) et éduqué par l’ours Baloo (François Pain-Douzenel) et la panthère Bagheera (Olga Mouak). Mais à peine termine-t-il son initiation et se prépare-r-il à affronter Shere-Kan (Roberto Jean) qu’il doit partir chez les hommes pour y trouver sa place. Trop humain pour les bêtes, trop bestial pour les humains, Mowgli séduit par son statut de frontière entre deux mondes construits sur l’idée qu’il ne peuvent s’entremêler : la « nature », si tant est qu’elle existe, et la « civilisation », si tant est qu’elle en diffère.
Bob Wilson prend cependant acte du constat que fait Philippe Descola dans Par-delà nature et culture, à savoir que cette opposition est seulement le fruit d’une cosmologie « naturaliste » occidentale ; la mise en scène agit dès lors comme une relecture des conditions de possibilité du récit. Le monde où évoluent Mowgli et ses compagnons ressemble plus à une décharge qu’à une jungle. Les protagonistes sont ainsi habillés de costumes décomplexés, qui désignent leur animal de manière minimaliste. La seule à arborer un costume imitatif est Bagheera, la panthère échappée de chez les hommes, qui cache son passé de domestique sous le spectacle de son appartenance au monde de la nature. C’est que les personnages reprennent moins l’apparence qu’une certaine qualité du comportement animal. « Mon travail est plus étroitement lié au comportement animal qu’à n’importe quelle école de jeu », explique le metteur en scène dans le livret de la pièce. « Quand un ours vous regarde, il écoute avec ses yeux, avec son corps ».
Cette idée de l’engagement corporel est portée par un jeu proche du mime et du cabaret, où prévaut la parole face public et où chaque personnage est d’abord défini par ses rythmes corporels et vocaux. Le décalage vers la danse et la parole rythmée crée un décalage qui permet à ce spectacle musical de conserver une étonnante légèreté, même dans des moments de grande tension. La recherche rythmique menée par Cocorosie pour Jungle Book puise dans le hip-hop, le blues, la soul, la comptine pour enfant, mais aussi simplement dans la parole rythmée, pour proposer une musicalité du jeu en évolution constante ; en transformant des discours en refrains, des résolutions en boucles, Jungle Book produit des humains-animaux au statut ambivalent qui évoluent dans une jungle faite de plastique et de néons. 17 ans après son adaptation des Fables, centrée elle aussi sur le discours animal, Bob Wilson signe un spectacle enchanteur et amusant dans lequel sont abolies les dichotomies séparant les humains des animaux, la culture de la nature.
Jungle Book de Bob Wilson © Lucie Jansch
Informations pratiques
Texte
Le Livre de la jungle, Rudyard Kipling
Mise en scène, décors et lumières
Bob Wilson
Avec
Heza Botto, William Edimo, Naïs El Fassi, Yuming Hey, Roberto Jean, Laetitia Lalle Bi Benie, Emma Liégeois, Jo Moss, Olga Mouak, François Pain-Douzenel
Musique et paroles Cocorosie
Musiciens Takuya Nakamura, Asya Sorshneva, Tez, Douglas Wieselman
Metteur en scène associé Charles Chemin
Collaboration à la scénographie Annick Lavallée-Benny
Collaboration aux lumières Marcello Lumaca
Costumes Jacques Reynaud
Direction musicale Douglas Wieselman
Dates
Du 30 octobre au 20 novembre au Théâtre du Châtelet, Paris
Durée
1h15
Adresse
Théâtre du Châtelet
2, rue Edouard Colonne
75001 Paris
Informations complémentaires
Théâtre du Châtelet
www.chatelet.com
Théâtre de la Ville
www.theatredelaville-paris.com