« Kvetch » de Steven Berkoff, mise en scène de Sophie Lecarpentier, au Théâtre du Rond-Point

Article de Bruno Deslot

Bouffées délirantes !

Qu’elle soit dite ou pensée, la parole engage ! Des petits bourgeois, new-yorkais, embourbés dans des habitudes rassurantes et normées, souffrent de ces fameux « kvetchs » qui les paralysent dans leurs modes de fonctionnement sociaux. La frustration est palpable chez ces personnes à l’existence banale et d’un ennui pesant. Toute la singularité narrative de Berkoff fait voler en éclats ce cadre donné dans lequel les personnages tentent d’évoluer bien malgré eux, grâce à ces fameux « kvetchs » lâchés par salves et retentissant comme des bombes chaque fois qu’ils semblent atteindre leur cible. Le retour à la normale est aussi rapide que le « kvetch » exprimé dans une urgence quasi nécessaire.

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© Serge Périchon

S’angoisser pour tout et n’importe quoi, caractérise Franck et Donna, un couple lambda, appartenant à la classe moyenne juive. Que faire à dîner et à quelle heure le préparer afin que tout soit prêt lorsque Franck rentrera du travail ? Grande angoisse pour Donna, torturée, entre autres par ce genre de pensée ! Comment être un homme, un vrai, sachant dire des blagues et taper le carton avec ses amis au cas où il aurait à le faire ? Autre grande angoisse qui torture Franck un jour où il décide, spontanément, d’inviter un collègue de travail à dîner à la maison ! Le dîner s’annonce musclé, chacun va devoir gérer ses propres angoisses entre les rots de la belle-mère, les envies de chier de Franck et les fantasmes inhérents à chacun des personnages.

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© Serge Périchon

Un plateau vide, cinq chaises, l’alto à cour, une lumière stylisée et des comédiens portant des costumes à dominante rouge, faisant certainement référence aux nombreux désirs qu’ils refoulent sans cesse. Dans un rythme haletant, étouffant, presque délirant, les comédiens enchaînent les répliques avec une belle énergie qui ne s’épuise jamais. La mise en scène chorégraphiée donne à voir des acteurs toujours en mouvement, muselés par une parole qu’ils ne s’autorisent pas à dire, mais que leur corps exprime avec douleur. Proches du grotesque, ils ressemblent à des pantins suspendus à un fil ou plutôt aux cordes de l’alto qui orchestre cette partition aux accents si singuliers. Chorégraphier la mise en scène, plaçant les comédiens dans une pantomime qui s’épuise rapidement et y ajouter une direction musicale se superposant ne jouant pas le rôle de relais, parasite l’ensemble et donne l’effet d’un surtitrage pas très heureux. Les magnifiques variations du violoniste séduisent l’oreille au début de la pièce mais versent dans une ambiance hystérique à mesure que le dîner vole en éclat ! Mais n’est-ce pas le propre de l’angoisse que d’être débordé par des sensations indéfinissables, irrationnelles et fondamentalement viscérales ?

Et ce n’est pas une simple levrette ou une sodomie qui règlent le problème. Donna et Hal en sont l’exemple le plus éloquent !

Kvetch
De Steven Berkoff
Mise en scène de Sophie Lecarpentier
Avec Stéphane Brel, Fabrice Cals, Anne Cressent, Julien Saada, ALTO Bertrand Causse
Traduction Geoffrey Dyson, Antoinette Monod
Travail corporel Yano Iatrides puis Nathalie Hervé
Costumes Nathalie Saulnier
Son Tom Ménigault
Lumières Orazio Trotta

Du 2 au 21 février 2016

Théâtre du Rond-Point
2, bis avenue Franklin D.Roosevelt
75008 Paris
http://www.theatredurondpoint.fr/