« La Double Inconstance », mise en scène d’Adel Hakim, Théâtre des Quartiers d’Ivry

Article de Sébastien Scherr

A moitié fidèle

Le Prince s’est épris de Silvia, une jeune paysanne amoureuse de son Arlequin. L’ayant fait enlever et séquestrer, son dessein est d’anéantir cet amour puis de la séduire. Il se fera aider de Flaminia, une suivante éduquée et intrigante, qui au passage jette son dévolu sur Arlequin.
Si l’amour du Prince n’est qu’un caprice, le thème devient celui du pouvoir et de la corruption. C’est cette approche qu’a adoptée Adel Hakim, dans une mise en scène audacieuse qui se veut moderne à tout crin. La scénographie est parfaite, et la mise en espace efficace. De grands panneaux où sont projetés aux entractes des toiles classiques, – l’enlèvement des Sabines, un satyre jouant avec une bacchante, puis des orientalistes ou des nus de Gauguin et enfin Picasso et Magritte – accompagnent l’évolution du jeu amoureux, du naturaliste vers le sophistiqué.

La Double inconstance 4©Nabil Boutros_1© Nabil Boutros

Le spectacle est de très bonne tenue, esthétique, intense, élaboré. Le jeu des comédiens va de très bon à excellent. En particulier Lisette légère, facétieuse ; Silvia, au phrasé moderne et si naturel ; Trivelin, sautillant ou trébuchant ; Flaminia, à l’ambivalence aboutie. On appréciera moins Arlequin, très énergique mais toujours rageur et qui pourrait être plus souriant, plus candide : le Prince, trop distant, peu impatient de connaître chaque réaction de Silvia, et finalement peu amoureux.

La Double inconstance 3©Nabil Boutros_2© Nabil Boutros

Mais en voulant dénoncer avec véhémence la violence sourde du Prince qui force l’amour de la jeune Silvia, Adel Hakim force à son tour le texte par une approche engagée où les amours naissantes sont jugées infâmes car issues d’un complot. Il restreint ainsi la description subtile que propose Marivaux de la vulnérabilité des sentiments. L’auteur aime à décortiquer les sentiments et examiner l’homme comme une machine aimante, mais il ne le juge pas. La mise en scène d’Adel Hakim, au contraire, prend farouchement parti et oblige le spectateur à choisir son camp. Le Prince et Flaminia sont présentés comme des libertins blasés et sans scrupules. Les deux conspirateurs, ensemble au lit au début du 3, tels Valmont et Merteuil, s’amusent à manipuler leurs pantins et suivre leur évolution. Silvia et Arlequin, en habit vert, deviennent des misanthropes révoltés contre une société pervertie.

La Double Inconstance 6©Nabil Boutros_3© Nabil Boutros

Surtout, on regrettera un souci de modernité poussé à l’excès. La vulgarité parfois (trop de seins nus, ceux des tableaux suffisaient) ou les artifices (alcool, mafia, flingue de Trivelin) n’apportent rien à l’intrigue : la violence est ailleurs.
C’est que le texte de Marivaux est déjà moderne par lui-même.

 

La double inconstance
De Marivaux
Mise en scène Adel Hakim
Avec Lou Chauvain : Lisette, Frédéric Cherboeuf : le Prince, Etienne Coquereau : un seigneur, Malik Faraoun : Trivelin, Jade Herbulot : Silvia, Mounir Margoum : Arlequin, Irina Solano : Flaminia.
Scénographie et lumières Yves Collet
Costumes Dominique Rocher
Chorégraphie Gilles Nicolas
Vidéo Matthieu Mullot
Du 2 au 29 novembre 2015

Théâtre des Quartiers d’Ivry
69 Avenue Danielle Casanova
94200 Ivry-sur-Seine
www.theatre-quartiers-ivry.com