« LA FORCE DU DESTIN » de Verdi, une œuvre charnière à redécouvrir

La Force du Destin (saison 22/23) de Giuseppe Verdi, mise en scène Jean-Claude Auvray
– Anna Netrebko (Donna Leonora) © Charles Duprat / Opéra national de Paris

En 1861, répondant à une demande du tsar Nicolas II, Verdi accepte de partir à Saint-Pétersbourg pour y composer un nouvel opéra. Pourquoi donc ce patriote enflammé, cet amoureux de l’Italie décide-t-il de quitter sa terre natale pour les frimas du Nord ?

Verdi ardent défenseur du Risorgimento, qui par son œuvre s’est clairement engagé avec force pour l’unité et l’indépendance italiennes, est profondément déçu par l’issue de la guerre que le Piémont uni à la France a livré à l’Autriche. En dépit de la proclamation de Victor-Emmanuel II roi d’Italie, l’unité italienne est loin d’être achevée et Verdi bien qu’élu député du premier Parlement italien formé en février 1861 à Turin, est peu porté à y jouer un rôle de premier ordre.
Le Maître traverse également à ce moment-là une véritable crise en tant qu’artiste, puisqu’il envisage de renoncer à écrire pour le théâtre. La force du destin s’imposerait-elle aux Hommes malgré leur détermination, leur courage, leur volonté ?
C’est ce que semble exprimer cette œuvre sombre et poignante. Pourtant, ce fut aussi l’occasion pour Verdi de se renouveler, d’expérimenter de nouvelles formes. Ainsi, retravailla-t-il plusieurs années sur cette pièce, pour parvenir à sa version finale en 1869 pour la Scala de Milan avec l’aide d’Antonio Ghislanzoni. Dans cette dernière version, qui est celle donnée à l’Opéra Bastille cette saison, il choisit de réintroduire dans le tableau final une lueur d’espoir, ou plutôt d’espérance, toute chrétienne.

La Force du Destin se présente donc comme une œuvre ambitieuse, foisonnante qui marque un tournant dans la carrière du compositeur. En effet, la « Grande Histoire », la geste nationale et ses guerres y sont toujours présentes mais elles passent davantage au second plan, servant en quelque sorte de toile de fond au drame intime qui se jouent entre les trois personnages principaux, Léonore, Alvaro et Carlo. Inspiré du drame romantique espagnol Don Alvaro o la fuerza del sino, écrit par Angel de Saavedra, duc de Rivas, en 1835, Verdi a fait appel à son librettiste favori Francesco Maria Piave pour adapter cette pièce romantique et en rédiger le livret. Comme à son habitude, Verdi intervient beaucoup dans le travail de Piave. Il veut en effet que sa pièce soit davantage centrée sur « les passions humaines, la peinture des caractères, les comportements, les motivations psychologiques de ses personnages » comme le souligne Jean-Claude Auvray qui a assuré la mise en scène originale de ce mélodrame pour l’Opéra national de Paris.

Nous suivons ainsi pendant un peu plus de 3 heures et quatre actes les deux personnages principaux, Léonore et Alvaro, épris l’un de l’autre, séparés, égarés, ballottés par la vie, rongés par le chagrin, la solitude et le remords, eux-mêmes poursuivis sans relâche par la haine vengeresse du frère de Léonore, Carlo, qui n’a de cesse de vouloir laver l’honneur bafoué de sa famille et venger la mort de son père, tué par accident par Alvaro dès le premier acte. Le destin, le « fatum » a en effet frappé tragiquement dès le début de la pièce par le meurtre du père ! Voilà pour la trame principale. Entre fuite et poursuite, le spectateur passe de l’Espagne à l’Italie, d’une auberge à un monastère, d’un ermitage à un camp militaire, pour se retrouver 5 ans plus tard de retour en Espagne dans ce même monastère d’Hornachuelos. Ainsi, sur fond de guerre et de misère s’entrecroisent les fils du destin de Carlo, d’Alvaro et de Léonore.

La Force du Destin de Verdi 1 Charles Duprat
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La Force du Destin (saison 22/23) de Giuseppe Verdi, mise en scène Jean-Claude Auvray
© Charles Duprat / Opéra national de Paris
1/ James Creswell (Il Marchese di Calatrava), Anna Netrebko (Donna Leonora), Russell Thomas (Don Alvaro)
2/ Russell Thomas (Don Alvaro), Ludovic Tézier (Don Carlo di Vargas)
3/ Nicola Alaimo (Fra Melitone)
4/Elena Maximova (Preziosilla)

Deux personnages viennent cependant égayer cette sombre histoire : la gitane Preziosilla et le moine Melitone. ils n’appartiennent pas à la pièce de Saavedra mais sont empruntés au Camp de Wallenstein de Schiller. Verdi crée ainsi un mélange des genres entre burlesque et tragique, qui l’a toujours séduit aussi bien chez Shakespeare que chez Schiller lui-même. Cela lui permet de créer un moment bienvenu de respiration pour le spectateur, tout en accentuant par contraste le sort tragique des deux amants. Chacun, hanté par le souvenir de l’autre, cherche désespérément un peu de quiétude et de réconfort. Ils finiront par les trouver dans le giron de l’Église.

La foi chrétienne, l’Église, jouent en effet un rôle central dans cette pièce, comme en contrepoint au destin qui s’acharne. La foi offre un soutien spirituel ; l’Église offre quant à elle secours et protection : Léonore et Alvaro viennent y trouver refuge et tentent d’y racheter leurs fautes, en quête l’un et l’autre de paix et de rédemption. Cela explique le choix par Alain Chambon, en charge des décors, d’un énorme Christ en croix suspendu au-dessus de la scène durant de nombreux tableaux. Pour le reste, ce sont surtout les Lumières de Laurent Castaingt qui mettent en valeur la pièce et sa chorégraphie.

Sur le plan musical, Verdi n’a pas seulement transformé la fin de son opéra. Il a choisi de donner plus de place à l’orchestre, initiant ainsi sa progressive émancipation des formes du théâtre lyrique traditionnel. Il a aussi choisi de lui ajouter une ouverture, directement liée au drame puisqu’elle cite plusieurs motifs musicaux à venir, dont l’un justement sera l’évocation de la fatalité . Ainsi, le retour des thèmes de l’ouverture dans l’opéra, et notamment le motif du destin, apporte une cohérence musicale bienvenue à l’ensemble de l’œuvre. Ce sont les notes de cette poignante symphonie d’ouverture qui marquent de leur sceau toute l’œuvre et qu’emporte avec lui le spectateur bouleversé.

La Force du Destin de Verdi Charles Duprat
La Force du Destin de Verdi 1
La Force du Destin de Verdi 7 Charles Duprat
La Force du Destin de Verdi 5 Charles Duprat

La Force du Destin (saison 22/23) de Giuseppe Verdi, mise en scène Jean-Claude Auvray
© Charles Duprat / Opéra national de Paris
5/ Anna Netrebko (Donna Leonora), Russell Thomas (Don Alvaro), Ferruccio Furlanetto (Padre Guardiano)
6/ Anna Netrebko (Donna Leonora)
7/Elena Maximova (Preziosilla)

Informations pratiques

LA FORCE DU DESTIN – Création décembre 2022, Première 12 décembre 2022

Auteur(s)
Giuseppe Verdi sur un livret de Francesco Maria Piave

Mise en scène
Jean-Claude Auvray

Direction musicale
Jader Bignamini

Avec
James Creswell (Il Marchese di Calatrava), Anna Netrebko (15 > 21 déc.) et Anna Pirozzi (12, 24 > 30 déc.) (Donna Leonora), Ludovic Tézier (Don Carlo di Vargas), Russell Thomas (Don Alvaro), Elena Maximova (Preziosilla), Ferruccio Furlanetto (Padre Guardiano), Nicola Alaimo (Fra Melitone), Julie Pasturaud (Curra), Florent Mbia (Un Alcade), Carlo Bosi (Maestro Trabuco), Hyun Sik Zee (Un chirurgo)

Chorégraphie Terry John Bates
Décors Alain Chambon
Costumes Maria Chiara Donato
Lumières Laurent Castaingt
Collaborateur à la chorégraphie Paolo Ferri
Chef des choeurs Ching-Lien Wu
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris

Dates
Du 12 au 30 décembre 2022

Durée
3h50 avec 2 entractes

Adresse
Opéra Bastille
Place de la Bastille
75012 Paris

Informations complémentaires

Opéra Bastille
www.operadeparis.fr/saison-22-23/opera/la-force-du-destin