« LA LANGUE DE MON PÈRE », Libérer les non-dits

La langue de mon père Texte paru aux éditions L’Espace d’un instant et présenté à Contre-Sens à Lyon en 2022. Création à la Manufacture d’Avignon en 2023
Programmé au Théâtre National de Strasbourg du 23 janvier au 2 février 2024, et au Théâtre de la Croix-Rousse à Lyon du 12 au 14 mars 2024

J’en redemanderais tellement plus ! Difficile d’en attendre trop pour un seul en scène, mais l’on est tant transporté dans les souvenirs de l’autrice qu’on aimerait que sa « langue » ne s’arrête pas…

Une langue peut-elle être un gilet de sauvetage ? Déterrer les mots de ses ancêtres peut-il éclairer des rapports à sa famille et à son identité ? Comment le racisme quotidien sème la honte et la violence chez les individus ? La langue de mon père est l’histoire d’une femme récemment immigrée en France. Tandis qu’elle attend ses papiers, l’apprentissage de la langue maternelle de son père, le kurde, la fait voyager vers des zones d’ombre de son passé. En apprenant cette langue longtemps interdite dans son pays natal, elle commence à interroger son rapport à son père qu’elle n’a pas vu depuis des années et le racisme quotidien avec lequel elle s’est construite en tant qu’enfant.

Pour cette véritable confession, Sultan Ulutas Alopé choisit le français, une langue que personne ne parle dans sa famille. C’est une volonté qui lui permet de mettre une certaine distance – nécessaire – entre elle et son récit. Elle devient alors un personnage autobiographique qui se place en recherche, en quête de soi et de réponse. Elle commence d’ailleurs son texte avec une succession de questions : « Pourquoi ? ». De plus, comme elle le dit elle-même en préambule de son œuvre, le français est une langue qu’elle ne maîtrise pas totalement. On retrouve donc quelque chose d’enfantin dans l’écriture : le français, devenu langage théâtral, est un outil pour retrouver une naïveté innocente renforçant la distance qu’elle cherche à mettre avec son discours.

Le théâtre est un lieu où la parole se libère, protégée par l’espace fictionnel, protection d’autant plus nécessaire lorsqu’il s’agit d’une autofiction. Dans La langue de mon père, l’autrice se sert de cette parole pour « dire l’indicible » et combler ainsi les non-dits qui pèsent sur son enfance. Le texte est parsemé d’une véritable violence due à l’absence, les tabous, l’inaction, la honte. En témoignant de cette violence sourde et dissimulée, Sultan Ulutas Alopé trouve un moyen de panser sa culpabilité, et de dire « Je t’aime » (« Seni Seviyorum ») sous d’autres mots.

Car comme le titre l’annonce, cette pièce est l’occasion d’une retrouvaille entre une fille et son père, dont l’ombre est omniprésente, tout comme le rapport complexe qu’entretient le personnage avec ses origines kurdes. Toute la violence dont elle témoigne concerne, à travers son expérience personnelle, son racisme « par la honte », toute une communauté discriminée. Pour renouer avec ces origines qu’elle avait si longtemps renier, il y a la langue : le texte est jonché de paroles kurdes, sous forme de dialogues, de mots, de chansons. « La Langue de son père », ce grand représentant de cette part de son identité, ce père qu’elle rejette mais en qui elle se reconnaît, qu’elle aime au fond sans vraiment le dire.

Et même si la pièce nous laisse sur un sentiment d’inachevé, il reste d’abord une sincérité profonde, un besoin de vérité et de lien, tout ce que le langage théâtral permet de mettre – enfin – en mots et en scène.

Informations pratiques

Auteur(s)
Sultan Ulutas Alopé

Prix
10 euros

Éditions L’Espace d’un instant
parlatges.org