« La Mer » mise en scène Alain Françon, Comédie Française

Article de Sébastien Scherr

Extra-terrestres et ultra-marins

Une tempête. Un naufrage. Un rescapé. Carson a survécu, Colin est mort. Sur la plage, les garde-côtes restent impassibles : Hatch, marchand drapier de son état, de tour de garde cette nuit-là, ne fait rien pour venir en aide aux survivants. Il a échafaudé toute une théorie du complot : les extra-terrestres veulent envahir l’Angleterre en commençant par son ventre mou, cette petite ville du Suffolk où rien ne se passe. On est en 1907. Colin était un jeune homme admirable, promis à un brillant avenir et à Rose Jones, la jolie nièce de Madame Rafi. Il sera remplacé par le plus terne mais courageux Carson. Madame Rafi, vieille aristocrate esseulée, fantasque et autoritaire, qui fait la pluie et le beau temps dans ce bled pluvieux, les incitera à fuir cette morne existence pour voguer vers des jours radieux.

La mer_christophe_raynaud_de_lage_1© Christophe Raynaud de Lage

La onzième pièce du dramaturge britannique Edward Bond fait son entrée au répertoire du Français dans une magnifique adaptation d’Alain Françon, qui signe une mise en scène épurée, efficace, tout à la fois poétique et réaliste. La présence de la mer, personnage central de la pièce, est affirmée par une grande fresque en décor fond scène sur toutes les scènes d’extérieur, comme par la projection d’images abstraites évoquant des flots agités à chaque changement de tableau. La troupe de la comédie française donne ici son meilleur avec dix-sept comédiens de talent qui apportent couleur et épaisseur à des personnages singuliers, parfois loufoques, et toujours incarnés, jamais caricaturés. En particulier, Hervé Pierre campe un Hatch fascinant de vérité, d’abord marchand veule et pusillanime, puis vagabond truculent et barré ; Laurent Stocker interprète un Evens philosophe, ermite dont la vision lucide et blasée jette un regard intraitable sur la société ; Cécilé Brune joue une madame Rafi emphatique et pragmatique, sans pitié pour ses semblables ni pour elle-même, à qui seule la distraction d’une petite troupe de théâtre et d’élans de lyrisme fait supporter sa triste existence.

La mer_christophe_raynaud_de_lage_2© Christophe Raynaud de Lage

Sans être sa meilleure pièce, la Mer permet déjà à Bond de nous emmener dans son univers en même temps lyrique et pessimiste. Son regard impitoyable assassine ce qui reste des dogmes et des convenances d’une société britannique en déclin. Au-delà de cette culture insulaire, c’est l’humanité entière qui est brossée dans une peinture contrastée, qui peut faire penser à Turner ou Gainsborough, où la lumière de la vie jaillit d’un ensemble sombre.

 

 

La mer
Texte Edward Bond, Traduction : Jérôme Hankins, entrée au répertoire
Mise en scène Alain Françon
Scénographie Jacques Gabel
Costumes Renato Bianchi
Lumières Joël Hourbeigt
Musique originale Marie-Jeanne Séréro
Son Léonard Françon
Dramaturgie et assistanat à la mise en scène David Tuaillon
Avec Cécile Brune, Eric Génovèse, Coraly Zahonera, Céline Samie, Laurent Stocker, Elsa Lepoivre, Serge Bagdassarian, Hervé Pierre, Pierre Louis-Calixte, Stéphane Varupene, Adeline d’Hermy, Jérémy Lopez, Jennifer Decker, Pénélope Avril, Vanessa Bile-Audouard, Hugues Duchêne, Laurent Robert

 

Du 5 mars au 15 juin 2016

Comédie française
Salle Richelieu
place Colette
Paris 75001
www.comedie-francaise.fr